
Article paru en 2006 dans le magazine « Sport & Vie ».
En 1985, lors de la sortie de son ouvrage « Manger pour gagner », le Docteur Robert Haas qui promouvait l’adoption de régimes très pauvres en graisses fit beaucoup d’émules dans le monde alors naissant du triathlon. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de voir des membres des équipes de France assaisonner leur salade d’une cuillerée à café d’huile, ou noyer leurs pâtes sous du ketchup plutôt que du beurre. Et s’ils avaient tout faux ?
LE GRAS N’EST PAS CELUI QU’ON CROIT :
Haas proposait de jeter les jaunes d’œuf, de donner le gras de la viande aux chiens, de faire des vinaigrettes à l’eau mais proposait des féculents à volonté. Ceci afin d’optimiser la mise en réserve du glycogène pour être plus performant. Mais aussi pensait-il assurer un état de santé optimal à ses adeptes en s’inscrivant en réaction à l’obésité galopante qui sévissait déjà Outre-Atlantique. Sa philosophie allait dans le sens de l’histoire, dans la mesure où la majorité du monde scientifique s’entendait pour faire des lipides les coupables désignés de tous les maux de la Terre. Ses attentes, en matière de santé, ont été déçues. Si un malade cardiaque se nourrissait comme le préconisait Haas, il serait sûrement le premier… à mourir.
Pour autant, deux idées majeures viennent étayer cet ostracisme anti-lipides. La première consiste à considérer que « manger du gras » c’est « stocker du gras ». Et en triathlon, surtout sur les longues distances, où l’excédent de poids est perçu comme un handicap, cette idée a la vie dure. Certains se sont d’ailleurs amusés à chiffrer. Très théoriquement, la perte d’un kg de masse grasse, chez un triathlète qui pèserait initialement 70 kg et couvrirait les 42 km pédestres de son « Ironman » en trois heures, correspond à un gain de temps de 3 mn. Pas forcément négligeable même si, en contrepartie, cet amaigrissement ne se traduira pas obligatoirement par une meilleure performance en natation. Mais passons. Toujours est-il qu’on confond allègrement poids et surpoids, et masse grasse corporelle et graisses alimentaires. Un exemple de cette manière de penser nous est fourni dans l’ouvrage de Mr Gindre, où on lit, à la page 260 : « l’apport en graisses de la population est de l’ordre de 40% de la ration énergétique. En France, la proportion de personnes obèses est d’environ une personne sur six. » (15). Pour l’auteur, l’enchaînement de ces deux phrases s’inscrit dans un raisonnement logique, que beaucoup partagent et où une étape est implicite : c’est celle qui attribue à l’apport en graisses alimentaires la responsabilité, sans équivoque possible, du surpoids. Dans cette citation, c’est apparemment un fait admis et sous-entendu. D’ailleurs, un grand nombre de scientifiques défendent ce point de vue, argumentant leur discours à partir de données calorimétriques : un gramme de graisses délivre deux fois plus de calories qu’un gramme de sucres. Et tout excédent se stocke. Donc, trop manger de graisses ferait grossir ! (25).
Certes, d’autres auteurs adoptent une position beaucoup plus nuancée quant à la responsabilité qu’auraient les graisses dans la survenue de l’obésité. Walter Willett, par exemple, souligne que la diminution des apports en lipides des Américains ne s’est pas accompagnée d’un recul de l’obésité. Au contraire même. Une analyse des différentes études d’intervention menées sur le long terme démontre que, dans une gamme comprise entre 18 et 40% de l’apport énergétique total, la ration lipidique influe très peu sur l’adiposité moyenne des sujets recrutés (14). Mais son discours ne rencontre pas beaucoup d’écho…
La seconde raison avancée pour éviter les lipides s’appuie sur des considérations métaboliques. Les lipides constituent, avec les sucres, l’un des deux carburants prédominants qu’utilisent les muscles. Leurs contributions respectives dépendent de divers paramètres, notamment l’intensité et la durée de l’exercice, l’alimentation, et enfin la génétique. L’un des enjeux de la préparation du sportif consiste à parvenir à utiliser au maximum les lipides afin de prolonger l’autonomie du glycogène, car ce dernier constitue un facteur limitant lors d’efforts d’intensité moyenne à élevée. Mais de quels lipides parle-t-on exactement ? Il en existe en fait deux sources distinctes. Les acides gras libérés à partir des triglycérides du tissu adipeux puis captés à partir du sang en représentent la première. C’est ce compartiment qui est souvent jugé illimité et, a priori, ne pose pas de souci ni ne risque de se tarir. La seconde est constituée par les triglycérides musculaires. Ils se forment à partir des graisses alimentaires mais aussi à partir des glucides, notamment en réponse à une élévation de l’insuline. Ceci n’est pas anodin. En effet, l’entraînement développe des processus physiologiques allant dans le sens d’une plus grande efficacité du métabolisme musculaire. Parmi ces transformations favorables, on note une augmentation de l’activité des enzymes qui permettent de mettre en réserve les acides gras utiles à ces synthèses. D’autres adaptations accompagnent la précédente. Ainsi, pour un apport alimentaire équivalent et à niveau d’effort relatif identique, (c’est-à-dire pour un même pourcentage de VO2 Max ou de la force max), un sujet considéré possède une autre caractéristique favorable : qu’il a développé ses possibilités à brûler les lipides (16). De ce fait, il parvient à mieux préserver son glycogène. Enfin, il existe également une induction, c’est-à-dire une lecture accrue du gène dont la transcription correspond à l’enzyme-clef de la lipolyse. Autrement dit, l’entraînement apprend à tout le monde à mieux brûler les graisses que chez un sédentaire. Donc, au total, s’additionnent une aptitude accrue à fabriquer des graisses de réserve ainsi que celle à les mobiliser et à les oxyder (8, 20, 22, 23). Il ne paraît donc pas justifié, au vu de ces seuls éléments, de majorer la ration lipidique. La mode du régime hyperglucidique ressort donc gagnante de ce rapide tour d’horizon. Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là….




LE CONCEPT DU « CROSS-OVER » :
Quand on regarde les pourcentages de la dépense d’énergie assurés respectivement par les glucides et par les lipides, on constate que pour des exercices d’intensité modérée à moyenne ceux-ci prédominent. Leur participation décroît à mesure que l’intensité relative de l’exercice (c’est-à-dire exprimée en % du maximum) s’élève. Elles ont amené certains auteurs à évoquer le concept de « cross-over» (4), (voir la figure jointe). Elle est représentée par les deux courbes figurant les contributions respectives des glucides et des lipides à la couverture de la dépense d’énergie supplémentaire occasionnée par l’activité. Il existe un niveau de difficulté pour lequel les deux courbes se croisent. Ce point de croisement n’est pas le même chez tout le monde. De quoi dépend la position de ce point ? Pas du niveau d’entraînement ni des adaptations qui s’ensuivent, contrairement à une idée initialement proposée par quelques auteurs comme Noakes ou Brooks. Dans un récent travail, l’équipe de Véronique Billat a montré que, au terme d’un cycle de six semaines d’entraînement, des coureurs aguerris parvenaient à améliorer leur vitesse au seuil de manière très spectaculaire. Mais à cette intensité relative d’effort il n’était pas noté de modification de la composition du carburant utilisé par les muscles.
Par contre, des caractéristiques innées propres à certains individus, ainsi que certains aspects de la ration adoptée semblent susceptibles de jouer sur la position de ce point de croisement ; plusieurs auteurs suggèrent que la participation maximale des lipides à la fourniture d’énergie ne se situe plus, chez certains sujets, à une intensité relative d’effort proche de 60% de VO2 Max, mais à un niveau plus élevé, correspondant à ce que les physiologistes nomment le « seuil d’accumulation des lactates dans le sang », abrégé « OBLA » par les Anglo-Saxons (16’, 21). De quoi briller sur un triathlon D.O. !Les travaux de Knechtle ont permis une validation directe par mesure de cette aptitude originale chez certains athlètes. Noakes s’appuie quant à lui sur des données de physiologie qui contredisent complètement l’hypothèse selon laquelle les graisses ne contribueraient pas de manière significative à la fourniture d’effort lors d’une épreuve de triathlon de type « Ironman ». Comme il l’a constaté dans son laboratoire de Capetown. : « L’un des plus grands défis se dressant devant les physiologistes de l’exercice est d’arriver à expliquer comment un homme est capable de finir une épreuve comme l’Ironman d’Hawaii dans un chrono aussi rapide que les meilleurs mondiaux, en particulier comme Mark Allen ou Dave Scott en 1989. » Pourquoi s’agit-il d’un défi ? Après avoir complété 3,8 km de natation en 51’17’’ et avalé une portion cycliste de 180 km en 4 h 37’52’’, ils ont achevé l’épreuve en bouclant le marathon en 2h40’04’’ pour l’un et 2h 41’03’’ pour le second. L’anomalie physiologique est celle-ci : Si une adaptation extraordinaire n’existait pas chez eux, il leur serait impossible d’avoir couru le marathon aussi vite. Aucun humain ne dispose de réserves de glycogène suffisantes pour soutenir un niveau d’effort aussi intense pendant 8 heures ou davantage.
Des données chiffrées mettent en exergue ce paradoxe. Dans son laboratoire, des collègues de Noakes ont prédit qu’après 4 heures 30 mn de vélo, un triathlète d’élite devrait, d’après les calculs effectués, avoir brûlé 700 g de glucides et 175 g de lipides (2). On peut comparer ces chiffres au maximum théorique de mise en réserve du glycogène, estimé à 520 g tout au plus. Par conséquent, d’après ce modèle énergétique classique, les Ironmen devraient débuter le marathon dans un état de déplétion quasi complète de leurs stocks de « super ». Ce qui leur interdirait bien évidemment de boucler le marathon à une moyenne de 16 km/heure, comme ces deux légendes du triathlon ! S’appuyant sur les observations qu’ils ont tirées de leur collaboration avec des athlètes de haut niveau, et la vitesse de combustion du glucose et du lactate, Noakes a calculé que leur vitesse de course aurait dû, au mieux, plafonner à 12 km/heure… ce qui correspond à un chrono de 3 h 30 mn, soit 50 mn de plus que la performance conjointe de Scott et Allen. La seule explication possible, en fait, et elle est forcément valide puisqu’ils ont bel et bien couru à 16 km/heure, serait qu’ils soient capables d’oxyder les graisses à un taux de 1,15 g/mn, soit une valeur supérieure de 50% aux chiffres relevés chez les meilleurs coureurs à pied évalués par Noakes…
« Si ce calcul est juste, lâche Noakes, cela signifie que des adaptations hors norme du métabolisme des graisses existent chez des adeptes de l’ultra-endurance ». Cela permettrait alors de prolonger la durée de vie du glycogène et de garder un régime stationnaire (et élevé) beaucoup plus longtemps que chez le coureur lambda. Ces « phénotypes » favorables doteraient évidemment ceux qui les possèdent d’un avantage sélectif optimisé par leur entraînement.
Qu’en est-il de l’influence de la ration ? Depuis une dizaine d’années, certains auteurs considèrent que, à niveau d’effort égal, on peut déplacer chez une majorité de sujets le point de croisement vers la droite de la courbe. Il s’agirait cette fois d’un avantage acquis, en relation avec l’alimentation. De quelle manière ceci se passe-t-il ? C’est là qu’interviendraient les rations hyper-lipidiques. Il a été noté en plusieurs occasions, qu’à un niveau d’intensité donné, (autour de 60% de VO2 Max), la majoration des apports en graisses sur plusieurs semaines assurait une relative économie du glycogène (4, 18, 19, 21). Or, il s’agit du niveau d’intensité auquel se disputent beaucoup d’épreuves d’ultra-endurance (66). Ces travaux, peu connus du grand public, n’avaient pas échappé, lors de leur publication, à la sagacité de Simon Lessing. Le champion Sud-Africain les a mis à profit pour tester sur lui une ration enrichie en lipides lors des deux dernières semaines précédant un objectif majeur. Il ne s’agissait pas d’une épreuve d’ultra à proprement parler, puisque la course en question était le Championnat du monde distance olympique, couru à une intensité proche de l’ »OBLA ». Et il le remporta, ce qui confirma que l’intérêt de la démarche ne se cantonnait pas au monde de l’ultra et de l’endurance. Ce constat remet en cause bien des idées, et à vrai dire Simon n’a pas fait beaucoup d’émules… sans doute parce que, philosophiquement, il n’est pas orthodoxe de valoriser les graisses.
UN MEILLEUR CARBURANT A BAS COÛT :
Comment pourrait s’expliquer cet effet des rations enrichies en lipides ? On pense d’abord qu’il se produit en raison de l’augmentation de la disponibilité des acides gras sanguins. En effet, leur teneur supérieure facilite leur entrée dans le muscle, comme à l’occasion d’un effort accompli au terme d‘une nuit de jeûne. Cette élévation a souvent été relevée à la suite de l’adoption de ce mode d’alimentation, pourvu qu’il ait été suivi sur au moins deux semaines. Ce n’est pas tout. On peut aussi penser, aujourd’hui, que cet effet s’ajoute à la correction vraisemblable de déficits en triglycérides intra-musculaires. En effet, habituellement, la restriction lipidique et la priorité métabolique donnée au glycogène limite ce processus de synthèse au sein des fibres. Le muscle dispose alors de stocks de graisses insuffisants. Et le coureur cale après plusieurs heures d’effort sur panne de gazole.
Enfin, un dernier facteur intervient. Il est relatif à l’aptitude présentée par certains lipides à influer directement sur l’expression de gènes codant pour des enzymes participant à l’utilisation des graisses. Deux types d’effets en résultent, soit de nature structurelle (comme dans le cerveau ou la rétine), soit métabolique (11, 13, 27). Les acides gras saturés, qui abondent dans la viande, la charcuterie, le fromage, et représentent l’ensemble des graisses cachées que nous avalons souvent à notre insu, inhibent le gène de la « lipolyse », c’est-à-dire celui qui gouverne l’aptitude à mobiliser et à brûler les graisses (*). Ces choix alimentaires favorisent donc l’instauration progressive d’une situation de résistance à la perte de masse grasse. A l’inverse, les acides gras de la lignée « oméga 3 » activent les gènes qui commandent la combustion des graisses. Ceci se traduit par un plus grand nombre d’enzymes par gramme de muscle et de tissu adipeux. Les acides gras deviennent alors le carburant privilégié de l’organisme. Cet effet est durable, car lié aux gènes, et non transitoire comme celui parfois observé avec la caféine ou la L-carnitine qui activent transitoirement les enzymes, sans en modifier le nombre. Il permettra de posséder une endurance plus importante, et ce de manière bien plus efficace qu’en multipliant à l’excès les sorties longues qui, chez des sujets très entraînés, ne créent plus, depuis longtemps, la moindre adaptation métabolique. Cet effet favorable peut cependant s’estomper au fil du temps. Notamment si l’apport lipidique total redevient trop faible. Dans ce cas, les acides gras « essentiels », ceux qui sont si utiles à d’autres fonctions, sont brûlés en premier comme si, faute de bois, on jetait les poutres de sa maison dans la cheminée pour se chauffer. Or, environ 90% des athlètes sont confrontés à un double problème ; d’une part, leur ration renferme trop peu de graisses de la famille « oméga 3 », indispensables au fonctionnement optimal de leur organisme. D’autre part, leur consommation totale de lipides est trop juste, de sorte que ces « bonnes » graisses sont détournées afin de servir de carburant d’appoint.
Toujours est-il qu’à la lumière des ces travaux on note que l’enrichissement en lipides de la ration de sportifs (initialement déficitaires), peut optimiser les performances chez une large majorité de sujets, et plus particulièrement chez ceux possédant déjà, de manière innée, une aptitude à les brûler supérieure à la normale. Comme Lessing ?
(*) : Ce gène appartient à la grande famille des « PPBAR », dont on commence à comprendre les multiples implications dans le domaine du métabolisme.






ET SI ON PARLAIT DE QUALITÉ ?
Durant les années 90, parallèlement à l’école de Noakes, un autre courant a émergé en faveur des graisses, sous l’égide de Barry Sears. Celui-ci s’inscrivait dans une logique différente, qui s’attardait sur les rôles fonctionnels de certains lipides, plutôt que sur leur statut de carburant. Il faisait référence à une notion devenue familière aujourd’hui, celle de l’équilibre entre les oméga 6 et les oméga 3. Certains acides gras de ces deux lignées entrent dans la composition des membranes cellulaires. Ce sont aussi les précurseurs de substances très importantes : les médiateurs cellulaires de l’inflammation (prostaglandines, leucotriènes), de la régulation du tonus vasculaire, de l’agrégation plaquettaire (thromboxanes) et même de la réponse anaphylactique (allergie). L’acide arachidonique, appartenant à la lignée « oméga 6 » donne naissance aux PG2, qui se présentent comme de puissants médiateurs de l’inflammation, de la vasoconstriction et de l’agrégation. Par contre, un autre acide gras de la lignée « oméga 6 », l’acide di gamma-linolénique (abrégé « DGLA »), et un dérivé de la famille « oméga 3 », l’EPA, donnent naissance aux PG1 et PG3 qui ont en commun leurs propriétés modérément anti-inflammatoire, vasodilatatrice et anti-agrégante. Lors d’une stimulation de la cellule, la réponse sera entièrement dépendante de la proportion de chacun de ces acides gras membranaires. Elle est liée à deux facteurs principaux. C’est d’une part l’activité de l’enzyme clef qui permet la transformation des chefs de file en dérivés supérieurs (elle se nomme la « delta 6-désaturase »). Divers acteurs en modulent l’activité. Ce sont d’autre part les apports alimentaires. Or, l’un des problèmes habituellement rencontrés est la prépondérance de l’acide arachidonique, au sein des phospholipides membranaires. Ceci survient lorsqu’on adopte une ration éloignée du modèle crétois. Dans ce cas, l’acide arachidonique y apparaît à un taux 20 fois supérieur à celui du DGLA (17). C’est l’un des arguments soutenus par Barry Sears pour promouvoir le modèle alimentaire exposé dans son ouvrage « The Zone » (24). Par une combinaison très précise des aliments, il propose d’atteindre, lors de chaque repas, les proportions de 40% de protéines, 30% de lipides et 30% de glucides le seul garant, à ses yeux, du respect de cet équilibre 24 heures sur 24. En outre, il prône la plus grande prudence vis-à-vis des glucides insulino-secréteurs ou des rations glucidiques trop abondantes. En effet, leur ingestion provoque une élévation de l’insuline qui inhibe l’enzyme clef de tout le système, la « Delta-6 désaturase » (3). Il s’ensuit alors un déficit en éléments anti-agrégants, anti-inflammatoires, vaso-dilatateurs… et ce de manière chronique ! Cet argument tient la route : Même les auteurs qui ont entrepris une analyse critique de cette théorie admettent que les élévations aigües ou chronique de l’insulinémie influent défavorablement sur l’équilibre délicat des différentes familles de prostaglandines (18). Notons encore que cet impact des acides gras sur la synthèse des cytokines va également influer sur le métabolisme protéique. En effet, dans des situations telles que la fièvre, le cancer, le stress de l’exercice, les cytokines pro-inflammatoires participent à l’activation du catabolisme protéique (26). La participation des acides gras essentiels au contrôle de la masse maigre sera évidemment à prendre en compte lors, par exemple, de protocoles de musculation ou en récupération.
Son modèle constitue-t-il la panacée ? Ce régime n’a pas réussi à gagner beaucoup d’émules pour une raison simple : Il délivre un trop faible apport énergétique, et surtout trop peu de glucides. On tombe en fait d’un excès dans l’autre. Ce déficit criant peut favoriser l’oxydation d’acides gras qualitatifs, en particulier les « oméga 3, qui utilisés comme carburant d’urgence ne seront alors plus disponibles pour ces synthèses. Qu’en déduire ? Que la majoration des apports en graisses, notamment en acides gras polyinsaturés, semble constituer une réponse logique. Mais ceci se fera dans un contexte assurant en outre un apport optimal en glucides, si possible à majorité peu insulino-secréteurs à distance de l’effort, et dotés d’un apport satisfaisant en éléments protecteurs et micronutritionnels. Il s’agira par exemple de céréales complètes, de légumes secs ou de fruits frais et secs.
Au final, s’il n’est plus question aujourd’hui de rations caricaturales véritablement « hyperlipidiques », force est d’admettre qu’il faudrait que la plupart des triathlètes actuels acceptent de manger un peu plus gras, tout en veillant à assurer un apport qualitatif optimal, comme Simon Lessing à l’époque. Sans cela, on peut craindre de voir se perpétuer de génération en génération tous
les problèmes inhérents à ces carences chroniques. Et de devoir traiter à nouveau ce thème dans un prochain article… en 2016…




Point de vue 1 : LE POIDS DES GRAISSES.
Dans l’esprit de la plupart des auteurs comme dans celui du grand public, les graisses corporelles représentent une forme d’énergie disponible à volonté et souvent excessive. Mais on ne les perçoit que rarement comme un ensemble d’éléments nutritionnels qui participent à diverses fonctions cruciales. Ainsi, les lipides représentent 50% du poids sec du cerveau. Ils y servent à toute autre chose qu’à fournir de l’énergie, ni pour les neurones- qui ne consomment pas d’acides gras-, ni pour les autres organes. Il est donc certain que considérer l’ensemble des graisses corporelles comme une réserve énergétique uniforme est un raccourci intellectuel dénué de réalité.
Quelle est la masse grasse corporelle moyenne ? Chez un individu sain et de morphologie normale, cette réserve adipeuse représente, selon le sexe, 12 à 25% de la masse corporelle. Elle se compose à 75% de triglycérides. Le quart restant comporte divers constituants, notamment les phospholipides des membranes, des stérols, du cholestérol, et d’autres, y compris certains xénobiotiques accumulés dans nos adipocytes au cours de notre vie (dioxine, pesticides, etc…). Un rapide calcul suggère que cette réserve de triglycérides représenterait de 80 à 130.000 calories théoriquement stockées. C’est ce qui a fait écrire à quelques physiologistes qu’à une allure faible, mobilisant essentiellement les triglycérides et les acides gras, un coureur de 70 kg, doté d’un taux de masse grasse de 10%, pourrait enchaîner plus de 15 marathons… ce qui est bien sûr totalement irréaliste (9). En effet, ces triglycérides ne sont pas forcément disponibles. Par ailleurs, par son aptitude à stocker les graisses le tissu adipeux protège les autres organes des effets délétères d’une accumulation anormale des graisses. Chez un adulte de poids stable, le temps de renouvellement théorique du tissu adipeux est de plus de 600 jours. Cependant, selon la nature des acides gras, ce processus se déroulera avec une efficacité très variable. Ainsi, il est quasiment impossible de faire sortir de ce tissu les acides gras à très longue chaîne (c’est-à-dire à plus de 24 atomes de carbone). Ils s’accumulent et leur abondance peut contribuer à « intoxiquer » la cellule. Pour cette raison, la façon habituelle d’aborder la question de la contribution énergétique des graisses est très restrictive si on ne considère pas cette diversité structurelle et métabolique des multiples catégories d’acides gras. S’il suffisait, par exemple, de créer un déficit entre les entrées en lipides et les sorties, on ne rencontrerait pas aussi souvent de situations de résistance à l’amaigrissement, y compris chez des sujets très entraînés.
Point de Vue 2 :
LA PART CROISSANTE DES GRAISSES
A intensité d’effort constante, la contribution des graisses à la fourniture d’énergie augmente au fur et à mesure que l’effort se prolonge. Ceci permet de maintenir à un niveau satisfaisant le quotient ATP/ADP au sein de la cellule. Cette participation supérieure correspond à une diminution progressive du niveau des réserves de glycogène. A des intensités plus élevées, par contre, la prépondérance des glucides se manifeste. On attribue cette plus grande dépendance vis-à-vis des glucides à plusieurs facteurs. L’un porte sur la cinétique des réactions de la lipolyse qui plafonne assez vite. La conséquence de ce plafonnement est la suivante ; si l’intensité est soutenue, les lipides ne peuvent plus assurer le maintien du rapport ATP/ADP à un taux constant dans la cellule. Ce facteur-là n’est guère modulable. Les deux autres phénomènes en jeu sont d’une part la lenteur de l’arrivée aux cellules des lipides ingérés, et d’autre part le délai requis pour leur passage du cytoplasme à l’intérieur de la mitochondrie. Ce transport fait appel à un système moléculaire compliqué nécessitant la présence de la carnitine. On peut donc identifier deux freins à la disponibilité cellulaire en acides gras. La première correspond à la distribution, via le système des lipoprotéines. La seconde concerne le système enzymatique assurant leur entrée dans la mitochondrie. Comme tout système enzymatique il présente une latence et une diversité phénotypique qui peuvent, chez certains limiter l’utilisation des graisses à un niveau d’effort relativement faible. De plus cet enzyme nécessite la présence de divers cofacteurs, dont le plus déterminant est la L-carnitine. Encore nommée abusivement « vitamine B7 » par certains auteurs américains, cette substance rencontre exceptionnellement une situation de déficit véritable dans nos tissus. Sauf mutation génétique touchant l’un des enzymes de sa synthèse, nos tissus parviennent habituellement à assurer l’essentiel des besoins cellulaires. Ses précurseurs sont notamment deux acides aminés essentiels, la lysine et la méthionine, parfois déficitaires dans des régimes à dominante végétarienne. Les vitamines B6 et C ainsi que le fer participent également à ces réactions. Les voies de synthèse endogène assurent un apport quotidien de l’ordre de 16 à 20 g/j auxquels s’ajoutent les quantités directement délivrées par notre ration. Les auteurs situent ces apports entre 8 à 11 mg/j, et jusqu’à 30 chez de gros carnivores (1, 5). Les viandes en constituent en effet, et de loin, les meilleures sources. Les complémentation à base de L-carnitine restent en général en deçà des apports alimentaires usuels.
Point de vue 3 :
MON PAPA N’AIME PAS LE GRAS.
Le taux de masse grasse des sportifs est souvent considéré comme un facteur déterminant de la performance. Diverses techniques ont été proposées pour apprécier le taux de masse grasse d’un individu. La plus ancienne, et non moins validée, est celle des plis cutanés. Elle permet de se faire une idée assez précise de l’adiposité moyenne des représentants de différentes disciplines aux caractéristiques très différentes (12). Qu’en ressort-il ? Des équipes indépendantes ont montré que la moyenne, chez les marathoniens de haut niveau, se situait entre 2 et 7%. L’autopsie de l’ancien champion Clarence De Mar confirma cette tendance, avec une adiposité inférieure à 8% au moment de son décès, après 50 ans de course au quotidien (8). Tim Noakes mentionne avoir personnellement trouvé une adiposité de l’ordre de 3,5% chez un athlète dénommé « Mosquito » Madibeng. Il figurait alors parmi les dix meilleurs coureurs mondiaux de semi-marathon.
Les femmes sont habituellement plus grasses que leurs homologues masculins. L’activité abaisse chez elle aussi l’adiposité. Quelques exemples en attestent. Un travail conduit en 1970 sur les marathoniennes américaines donna une valeur moyenne de 15%, avec un minimum à 6%. L’ancienne détentrice de marathon Grete Waitz avait été estimée, au faîte de sa gloire en 1981, en possession d’un taux de masse grasse de 8% (10). Ces valeurs ayant été obtenues par la technique des plis cutanés, chez des expérimentateurs très aguerris, elles ne sont guère sujettes à caution.
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Denis Riché pour Sport & Vie - 2006
Photos : Philippe ENG & Girls Band
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