Jusqu’à la disparition du « Rideau de fer », l’école soviétique de préparateurs physiques a fait référence. Ses démarches souvent tenues secrètes, la qualité de ses chercheurs dans d’autres domaines, notamment dans l’espace, la rareté des publications parues à l’étranger (beaucoup de travaux sortant en russe), ont beaucoup contribué à ce mythe. Ce fut donc un événement quand en 1975, en pleine guerre froide, le vénérable professeur Yakovlev, de l’Institut de Recherche Scientifiques de Culture Physique de Leningrad, publia dans une revue internationale de renom, basée aux Etats Unis, un article de synthèse, en anglais, dont le titre était : « Biochimie du sport en Union Soviétique : début, développement et statut actuel ». La représentativité de ce scientifique ne faisait aucun doute ; son nom figurait dans plus de 50% des 99 références bibliographiques citées, reprenant des travaux qu’il avait menés, sans discontinuer, dès 1948, initialement dans le cadre du développement du programme militaire soviétique.
Ce texte dressait un vaste panorama englobant à la fois l’histoire de cette science dans un pays où la réussite sportive tenait lieu de vitrine face à l’Occident, et des concepts et des démarches alors en vigueur. On y trouve effectivement, au hasard de ces onze pages, des éléments très intéressants. Entre autre, que ce pays tint très tôt un rôle de précurseur ; dès 1927, Alexander Palladin mena des travaux qui lui permirent de montrer que sous l’effet de l’entraînement provoquait une augmentation des taux musculaires de créatine, de créatine phosphate et de glycogène. Par la suite, à l’entre-deux guerres, son équipe a établi qu’avec l’entraînement l’activité de certains enzymes des fibres augmentait, conduisant à une élévation des processus aérobies. Rappelons qu’à la même époque, en Europe de l’Ouest, l’observation des effets de l’entraînement se cantonnait à la description des échanges gazeux, ce qui avait conduit Hill à avancer des hypothèses concernant VO2 Max. Dans la continuité de ces travaux, en 1940, Belitzer formula l’hypothèse une hypothèse fondamentale très pointue : selon lui, les fondements biochimiques de l’entraînement reposent sur un accroissement simultané des réserves musculaires d’énergie et des aptitudes enzymatiques permettant d’utiliser ces substrats.
Durant toute cette période où la biochimie de l’exercice s’est développée, on considérait uniquement l’entraînement comme un processus adaptatif, c’est-à-dire comme un ensemble de transformations concernant les muscles et les processus biochimiques sollicités par l’entraînement, qui représente alors un stress parmi d’autres. Ce principe général s’accompagnait, comme ils le formulèrent dès le début des années 50, de celui de « spécificité », indiquant qu’à chaque forme d’entraînement survenaient des réponses spécifiques. C’est également à cette période qu’ils établirent un fait peu connu encore aujourd’hui : l’ajustement du pouvoir tampon du cerveau, c’est-à-dire de sa capacité à se préserver des montées d’acidité, en réponse à l’exercice.





Les perturbations relevées au niveau du muscle constituent en fait, dans cette logique, la première étape d’un processus plus complexe de renouvellement, aboutissant à l’amélioration de potentialités structurelles ou métaboliques supérieures. Plusieurs années plus tard, on donna une base à cette amélioration, en montrant, dans l’intimité des cellules, des modifications profonds des activités enzymatiques ou du codage de certains gênes gouvernant des protéines importantes.
Pour pousser toujours plus loin les capacités d’adaptation, difficiles à améliorer significativement chez des sujets déjà très aguerris, plusieurs approches furent imaginés avant le début des années 60. IL y eut d’abord la logique du volume, selon laquelle pour rendre les athlètes plus performants il fallait les soumettre à des charges d’entraînement très difficiles à supporter, et génératrices d’une casse importante, peu problématique dans un contexte d’abondance de talents. Il y eut également celle des surcharges où, au lieu de respecter une certaine alternance entre sessions difficiles et séances faciles, on soumettait l’organisme des sportifs à plusieurs journées intensives consécutives. Là aussi, les risques encourus et les menaces de surmenage constituaient le prix à payer. Enfin, ils imaginèrent de surimposer à l‘entraînement d’autres formes de sollicitations « déstabilisantes ». Ainsi, la réalisation de séances en altitude, dans le froid, dans un contexte de privation de sommeil ou de stress affectif, amplifiait les réponses déclenchées… dans une logique où les bienfaits du sport n’étaient plus guère pris en considération.
En 1975, au moment de la publication de cet article « historique », le problème que les savants soviétiques voulaient s’attacher à résoudre était celui des bases moléculaires qui accompagnaient les performances, aussi bien au niveau de l’ADN que des protéines ou encore que des messagers cellulaires qui pouvaient servir de relais à des processus dont on mesure mieux, aujourd’hui, la complexité. Ironie de l’histoire, pour venir à bout de cette mission, Yakovlev émit le souhait, en conclusion de son texte, que : « de nombreuses équipes de savants de l’URSS travaillent avec des biochimistes d’autres pays, en particulier avec ceux des USA qui ont apporté une contribution majeure à cette science. » Comme quoi le sport peut contribuer au rapprochement entre les peuples… d’une manière insoupçonnée…
Denis Riché, pour « Sport & Vie ». - 2003
Photos et création : Philippe ENG & Girls band
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