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Course à pied et mort subite

On considère classiquement qu’une activité sportive régulière protège du risque cardio-vasculaire. Si ce constat est en partie juste en ce qui concerne les infarctus et les accidents vasculaires cérébraux, il apparaît que certains événements, désignés sous le terme de « mort subite », frappent de la même manière sportifs et sédentaires. Pour des raisons longtemps méconnues…


UN PHÉNOMÈNE MAL CONNU :

 

La mort subite correspond à un décès d’origine cardiaque, survenant dans des conditions très particulières qui la différencient totalement des autres perturbations mortelles touchant le coeur, telles que l’infarctus du myocarde. Elle représente plus de la moitié des décès d’origine cardiaque, soit 40.000 à 80.000 cas annuels en France. Comment se caractérise-t-elle ? D’abord par son instantanéité, puisqu’elle survient en l’espace de quelques minutes. Ensuite par son caractère inattendu, aucune maladie connue n’y étant associée, laissant les proches des victimes face à une énigme ouvrant la porte à bien des supputations, comme dans le cas du cycliste Fabrice Salanson ou du footballeur camerounais Marc-Vivien Foé, décédé sur le terrain à l’occasion d’une rencontre comptant pour la Coupe des Confédérations. Elle est encore inopinée, c’est-à-dire sans lien avec le moindre facteur extérieur, froid, chaud, stress ou fatigue. Enfin, il n’y correspond aucun signe anatomique caractéristique, notamment pas d’athérosclérose dont l’ampleur pourrait expliquer le décès. Les facteurs de risque habituels des autres maladies cardiaques (tabagisme, anomalies lipidiques, obésité, stress) s’avèrent tout fait inappropriés pour identifier les sujets à risque. Pour résumer ces données, selon le Pr Lenègre, éminent cardiologue affirme : «  L’étiquette de mort subite devrait être réservée aux sujets qui vaquent à leurs occupations habituelles, et succombent de façon absolument inopinée, en dehors de toute action extérieure et dans un délai de quelques minutes, c’est-à-dire en dehors de tout syndrome observable ". 

 

N’y a-t-il donc rien à se mettre sous la dent pour comprendre ce qui se passe et prévenir ? On relève en fait de fréquentes anomalies du rythme cardiaque et notamment ce qu’on nomme une « arythmie » ventriculaire, c’est-à-dire une contraction désordonnée du muscle cardiaque.

Rappelons de manière succincte comment  celui-ci fonctionne. La contraction rythmique du cœur fait suite à des phénomènes électriques, eux-mêmes dus à de très rapides mouvements de minéraux de part et d’autre de la membrane des cellules cardiaques, à travers des canaux qui s’ouvrent et se ferment très rapidement, un peu comme des interrupteurs. L’ouverture de ces canaux permet l’entrée des minéraux dans ce muscle, l’espace de quelques millisecondes, avant de se refermer. Ce sont ces variations de tension qui sont enregistrées lorsqu’on réalise un électro-cardiogramme. Un tracé anormal, comme on en voit parfois lors de tests d’effort de routine, signale l’existence d’anomalies minérales à l’origine de dysfonctionnement du rythme cardiaque. 

 

L’origine de ces anomalies de « conduction » est longtemps restée mystérieuse. Un coin du voile s’est aujourd’hui sur cette énigme. Deux autres caractéristiques semblent correspondre à un risque accru. Il s’agit d’une part de la possession d’un pouls de repos rapide, supérieur à 75 pulsations/mn, rare mais pas impossible au sein du peloton des coureuses et coureurs. Cette spécificité correspond à un risque relatif de trois, par rapport à un sujet doté d’un cœur plus lent. Autrement dit, le risque de mort subite, chez les sujets possédant un cœur trop rapide, est triplé comparativement aux coureurs lents, endurants. L’entraînement en aérobie, pourvu qu’il soit mené avec suffisamment d’assiduité, permet de ralentir le cœur chez tout un chacun, et par conséquent d’atténuer ce risque-là. D’autre part, la mort subite frappe plus souvent chez ceux qui présentent des anomalies de l’adaptation de la fréquence cardiaque à l’effort. Dans des conditions où l’intensité augmente, chez ces individus « à risque », on voit survenir davantage de décrochages du rythme. L’entraînement semble rester sans effet sur ce facteur-là. Un dernier élément a été récemment identifié. Lié en partie à nos choix alimentaires, il pèse très lourd…


L’INDICE « OMEGA 3 » :

 

Au cœur du problème se trouvent des graisses, non pas comme facteur aggravant, mais plutôt comme éléments protecteurs. Au point que le déficit en certaines d’entre elles prédisposerait à la survenue de la mort subite ! Au terme générique de « graisses », le corps médical préfère parler d’acides gras. Pour simplifier, ceux-ci seraient comme des perles de différentes couleurs dont l’assemblage en collier constituerait le gras. Ces acides gras se rangent en trois grandes familles, saturés, monoinsaturés et polyinsaturés, cette distinction reposant sur des caractéristiques chimiques immuables. Certains acides gras sont fabriqués naturellement par notre organisme. D’autres non. Ces derniers donnent en outre naissance à des molécules chargées de fonctions très importantes dans notre organisme. On qualifie ces acides gras d’ »essentiels » et on dépend de notre ration pour en couvrir les besoins. Ils appartiennent à deux familles qualifiées de « oméga 3 » et « oméga 6 ». Dans la lignée « oméga 3 », deux acides gras aux noms compliqués, abrégés EPA et DHA, jouent des rôles particulièrement importants. Abondants dans les graisses de poissons, ils entrent notamment dans la composition des membranes des cellules. C’est à la surface de ces membranes que se trouvent localisés les canaux par lesquels entrent et sortent les minéraux, dont les mouvements contribuent au courant électrique qui déclenche la contraction cardiaque. Ces acides gras confèrent une souplesse optimale à ces membranes, et de là conditionnent le bon déroulement des phases d’ouverture et de fermeture des canaux à minéraux. 

 

De récentes études indiquent que ces acides gras de la lignée » oméga 3 » modulent deux éléments clés de la survenue de la mort subite. C’est d’une part la susceptibilité aux arythmies et d’autre part la fréquence cardiaque. Ainsi, en 2004, deux auteurs américains ont proposé que la teneur en EPA+DHA des globules rouges soit considérée comme un marqueur potentiel du risque de mort subite. Ils ont appelé cette teneur « indice oméga-3 ». La question se pose alors de savoir dans quelle mesure les sportifs tirent de leur alimentation un apport optimal en acides gras. Il s’agit aussi de savoir comment vérifier, sur le plan biologique, leur teneur dans nos tissus. Sur ce dernier point, il existe une possibilité intéressante. En effet, les membranes de toutes les cellules présentent la même composition en différentes familles d’acides gras. Pour déterminer si l’indice « oméga-3 » peut être un marqueur pertinent du contenu tissulaire en EPA+DHA, des auteurs anglo-saxons, Harris et collaborateurs, ont mis en place une étude chez 20 transplantés cardiaques. Ils ont mesuré, par biopsie, la teneur en EPA+DHA dans les membranes des globules rouges et dans celle des cellules cardiaques. Ils ont observé une très forte corrélation entre l’indice oméga-3 et la teneur tissulaire cardiaque en EPA+DHA. Autrement dit, si on procède à leur mesure dans des cellules sanguines, on pourra extrapoler les résultats  trouvés aux cellules cardiaques.

 

Cela a permis de pousser le raisonnement un peu plus loin ; d’autres auteurs, à peu près au même moment, ont estimé à partir des études ayant utilisé l’indice oméga-3 et les données tirées d’autres études, les valeurs considérées comme étant associées à un risque faible ou élevé de mortalité cardiaque. Il se dégage en effet des valeurs observées 2 zones, < 4 % et > 8%, associées respectivement à une protection faible (pour l’indice le plus bas) ou optimale (pour l’indice le plus élevé). 



Y A-T-IL DANGER ?

 

Reste en suspens la question du niveau d’apport spontané en « oméga 3 » chez les sportifs et, corollaire de ce débat, l’enjeu de l’intérêt éventuel d’un apport en « oméga 3 » chez des sujets présentant des troubles du risque. Dans le cadre des travaux menés antérieurement sur la détermination du statut en acides gras des sportifs, on a constaté de fréquents déficits. En compilant les résultats observés auprès des coureurs d’ultra, des nageurs, des footballeurs professionnels, et recueillis au cours des dernières années, on a observé la survenue très fréquente de déficits en acides gras de la lignée « oméga 3 » voir le tableau n° 1). Le contexte n’est donc pas très bon.

 

Qu’en est-il du rôle préventif éventuel d’un apport en « oméga 3 » de poisson ? Un groupe de médecins a mesuré la fréquence cardiaque des sujets pendant 80 minutes, en leur faisant alterner les positions allongé, debout, assis et ensuite au repos en  train de lire. La moitié des sujets avaient reçu un complément de graisses de poissons riche en « oméga 3 » durant un mois au préalable. Ils ont pu observer que la fréquence cardiaque était significativement plus faible chez les sujets ayant reçu les oméga-3 (74 contre 69 bpm). 

 

Les experts s’accordent à reconnaître que, pour bénéficier d’un «indice oméga 3 » correct (4 à 8% du total des acides gras des membranes), niveau garantissant une protection optimale, il faut consommer au moins 1 g d’EPA + DHA par jour. C’est ce qu’apportent environ 400 g par semaine de poisson gras, saumon, sardines, maquereaux, anchois. C’est très rare que les coureurs en consomment autant, et la lecture du tableau 2, qui récapitule les dernières données sur les teneurs des aliments,  permet de le comprendre. Ce constat d’insuffisance fréquente peut justifier l’intérêt d’un complément en acides gras de poisson ce qui, par ailleurs, favoriser une meilleure prise en charge de l’inflammation, une meilleure circulation, une aptitude accrue à brûler les graisses, et un fonctionnement cérébral optimal. Alors, pensez aux sardinades cet été, et aidez-vous du tableau ci-dessous pour plus de sûreté !

 

Tableau n°1

Statut en acides gras de populations sportives, étude préliminaire (« micronutrition, santé et performance », à paraître aux Editions « De Boeck » en 2007).

 

Sport concerné

Nombre de sujets

Acide linoléique ↓

Acide α linolénique ↓

w-6 longue chaîne ↓

Acide arachidonique ↓

Ac.arachidonique

w-3 longue chaîne ↓

Football

17

9

4

13

1

0

6

Rugby

28

4

22

4

9

0

13

Natation

23

4

8

4

4

2

11

total

68

17

34

21

14

2

30

 

Tableau 2 :

Valeur nutritionnelle et teneur en « oméga 3 » des poissons bleus.

 

Denis Riché, pour « VO2 Editions » - 2007

Photos : Jiji


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