Aux Etats Unis, les eaux minérales enrichies en oxygène sont très connues et largement consommées. En Europe, le phénomène est marginal. Il serait même totalement ignoré du public si les soeurs Williams n'avaient pas fait mention de leur intérêt pour une de ces eaux. S’agit-il vraiment d’un "plus" ou est-ce seulement un habile coup marketing pour des produits bidons ?
DU GAZ DANS LES BOYAUX :
Pour être tout à fait justes, ce n’est pas la "Vieille Europe" dans son ensemble qui a manifesté du dédain pour ces eaux. Les Allemands travaillent depuis près d’un demi-siècle sur le sujet. Notamment une unité de l'Université de Münich qui se consacre plus particulièrement, depuis une dizaine d'années, à une méthode novatrice répondant au nom obscur d' "oxygénothérapie pérorale". En quoi consiste-t-elle? Comme l'expliquent ses concepteurs, notamment le Dr Pakdaman, il s'agit de fournir à l'organisme une eau à laquelle on a ajouté de l’oxygène. Ce gaz, dissous dans le liquide serait alors rendu plus disponible. Ce phénomène de dissolution existe dans la nature. Mais l’apport d’O2 ainsi réalisé reste marginal et ne peut exercer d’effet propre. Que se passerait-il si sa teneur était plus élevée ? C’est ce que se sont demandés les concepteurs de l’eau superoxygénée. Pour l’élaborer, de l’oxygène est insufflé dans l’eau minérale, de la même manière que certaines eaux pétillantes sont gazéifiées après leur sortir du greffon. A priori, imaginer que cette eau enrichie pourrait exercer une action physiologique semble aller à l’encontre de la physiologie. En effet, ce gaz est principalement véhiculé par son transporteur, l’hémoglobine, et l’infime quantité d’oxygène dissous dans le sang compte trop peu pour influer de manière significative sur l’oxygénation des tissus. Ceci est d’autant plus vrai que le sang artériel, habituellement, est saturé à 98% en 02, ce qui va limiter la diffusion de celui contenu dans l’eau absorbée (1). D’une manière générale, sauf en cas de recours aux chambres hyperbares, il n’est guère possible de forcer le sang à accroître la quantité d’oxygène transporté. Les concepteurs de la technique s’en sortent en soulignant une autre particularité de l’oxygéno-thérapie pérorale. L’absorption du gaz s’effectue au niveau de la muqueuse de l'intestin et de l'estomac, et non des poumons. Le gaz diffuse vers le sang veineux porte, moins riche en oxygène que le sang artériel. Les conditions rencontrées se prêteraient davantage, de ce fait, à l’assimilation de l’O2.
DES TRAVAUX FONDAMENTAUX MÉCONNUS :
La première fois où l’existence de ces eaux a été mentionnée, un esprit scientifique rationnel ne peut se défaire d’un réel scepticisme. Est-il possible qu’un simple enrichissement d’une eau en oxygène puisse exercer des effets thérapeutiques ? Or, il semble exister un travail conséquent sur cette question, même si les publications réalisées sont souvent parues dans des revues mineures ou peu sérieuses, ce qui entache leur conclusion d’un indéniable doute. On découvre pourtant des éléments troublants ; ainsi, cette méthode a déjà été introduite comme thérapie adjuvante, aux côtés d'autres plus conventionnelles pour la prise en charge de différentes formes de cancer. En effet, cette approche améliorerait les traitements habituels. Cela surprend. En effet, on craindrait plutôt que l'apport accru d'oxygène puisse stimuler la fabrication de formes radicalaires oxygénées, dont on connaît l'importance dans les processus de cancérisation des tissus. On sait également que les stratégies anti-oxydantes bien conduites participent à la prévention primaire ou secondaire du cancer. Mais curieusement, ces craintes n'apparaissent pas fondées ; il semblerait, à en croire les éléments cités dans des tirés-à-part mis à notre disposition, que c'est dès 1957 que des études menées par Seeger et Schacht ont permis d'établir, sur plus de 100 animaux, que le quotient de multiplication, c'est-à-dire la virulence des cellules cancéreuses, était inversement proportionnel à leur capacité respiratoire. Dit plus simplement, cela signifierait que si la respiration cellulaire est activée et s'amplifie, la virulence s'effondre. Des observations confirmeraient que l'administration pérorale d'oxygène accroîtrait effectivement l'oxygénation des tumeurs, ce qui augmenterait alors leur sensibilité aux rayons et à la chomiothérapie.. Enfin, une étude publiée en 2001 dans une revue irréprochable (2), révèle que cette technique permet d'augmenter la teneur en oxygène du sang de la veine porte. Le foie serait alors, grâce à cela mieux oxygéné, ce qui pourrait s'avouer fort utile en cas de cirrhose ou d'hépatite. Fort bien, mais quel rapport avec les soeurs Williams?




DES EXTRAPOLATIONS HASARDEUSES...
Dans la plupart des disciplines sportives, la consommation d'oxygène est un élément déterminant de la performance. Soit de manière majeure, comme dans les disciplines d'endurance où la possession d'une cylindrée élevée favorise la réalisation de grandes performances. Soit de manière secondaire lorsque les qualités athlétiques ne sont pas les seules à influer sur les résultats, comme au tennis. Trouver le moyen de fournir plus d'oxygène à l'organisme, et en particulier aux fibres musculaires en action, est vite devenu un objectif du monde sportif et scientifique. Nous ne reviendrons évidemment pas sur les applications interdites qui en ont découlé, sous la forme de dopage par auto ou hétéro-transfusion ni par utilisation d'EPO, qui s'inscrivent dans cette logique. Nous ne nous attarderons pas davantage sur les bénéfices potentiels tirés de démarches licites telles que les séjours en altitude ou d'un stage reposant sur le concept du "live high train low", aux résultats somme toute aléatoires. Voyons plutôt quoi penser des rares travaux ayant visé à évaluer l'intérêt potentiel de la prise d'eaux enrichies en oxygène. Dans un document de synthèse, reprenant des études n'ayant hélas pas été publiées (et donc non soumises au jugement par les pairs) le professeur E.F.Elstner rapporte deux travaux. Dans le premier, conduit en double aveugle auprès de 56 volontaires, recrutés dans des classes d'étudiants en éducation physique, on mentionne une étonnante élévation du nombre de leucocytes dans le sang veineux. L'explication pouvant être donné à ce curieux phénomène, et plus encore son implication physiologique sont évidemment sujettes à caution. Il ne saurait être question de laisser entendre que la consommation de cette eau spéciale stimule les défenses immunitaires, comme il serait tentant de le laisser penser. L'observation isolée dont il est ici question a-t-elle été reproduite? Est-elle transitoire? Résulte-t-elle simplement de la suroxygénation du sang veineux? On ne peut rien dire.
La seconde étude rapportée n'est guère plus satisfaisante. Elle révèle que les consommateurs de cette boisson gazeuse améliorent en moyenne leur puissance maximale de 20 Watts. Il s'agit d'une amélioration trop peu nette et relevée chez trop peu de sujets (seulement 8), pour lui accorder quelque portée. Pas plus qu'au moindre taux d'acide lactique qui aurait été mesuré chez ces volontaires.
UNE ÉVALUATION OBJECTIVE GUÈRE FLATTEUSE :
Que se passe-t-il quand une autre équipe étudie ce produit en s'appuyant sur les critères classiques de l'expérimentation? Comme le souligne Craig Horswill, du Gatorade Sports Science Institute (**), la simple analyse chimique des eaux dont on met en avant la soi-disant richesse en oxygène rétablit une vérité difficile à entendre : La plupart, sinon l'ensemble des eaux enrichies qui sont commercialisées sur le sol américain, sont conditionnées en bouteilles plastique. Or l'oxygène moléculaire diffuse facilement à travers celles-ci, de sorte que la teneur réellement mesurée en laboratoire est loin des chiffres avancés sur les étiquetages. Ainsi, "SerVenRich", qui contiendrait 10 fois plus d'oxygène que la normale, en renferme à peine deux fois plus qu'une eau classique, 17 mg/l contre 8 mg/l. Trop peu sans doute pour exercer un quelconque effet. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé une étude récente. Une équipe de l’Université du Wisconsin a entrepris une étude en double aveugle, eau superoxygénée en bouteille contre eau normale. Dans cette expérience, les volontaires devaient déglutir 500 ml de l’une des deux boissons, choisie au hasard. 15 mn plus tard, on procédait alors au relevé de la fréquence cardiaque maximale, de VO2 Max et du temps de soutien à VO2 Max au cours d’un test d’effort. Ce dernier fut répété au cours de la même journée de manière à évaluer, par ailleurs, si la prise préalable de cette eau pouvait influer sur la récupération. Qu’ont montré les résultats ? Qu’aucune différence significative ne pouvait être relevée. Le professeur Porcari, auteur principal de ce principal, en conclut sans mal que ces eaux ne renferment rien d’autre… que de l’eau.
(**) : Nous vous invitons à aller visiter le remarquable site que cet Institut consacre à l’hydratation : https://www.gssiweb.org/
BIBLIOGRAPHIE :
(1) : ANDERS M (2001) : ACE Fitness Masters, sept/oct : 12-3 .
(2) : FORTH W, ADAM O (2001) : Eur.J.Med.Res., 6 : 488-92.
(3) : PORCARI JP & Coll (2002) : Med.Sci.Sports Exerc., 34 : S 295.
Denis Riché, pour « Sport & Vie » - 2002
Photos : MCC
Le 15ème livre de Denis Riché sera publié le 18 janvier 2021.
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