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L’intérêt nutritionnel du Miel

« J’ai souvent lu et entendu dire que l’ingestion de miel était recommandée aux sportifs. Que pensez-vous de ce produit ? » (H.O., Liévin). 


DES VERTUS MILLÉNAIRES, CLAIREMENT SURÉVALUÉES : 

 

Celui qui s’intéresse à l’histoire de la médecine sait sans doute que le miel était jadis utilisé dans un large cadre thérapeutique empirique, dont nous avons conservé de nombreuses traces écrites. Citons par exemple le papyrus d’Ebers, écrit à Thèbes en 1870 avant J.C., et qui mentionne un mélange de miel et de pain de St Jean comme médicament diurétique, alors qu’Hippocrate, le père de la médecine moderne (460- 377 avant J.C.), y avait recours dans la préparation de nombreux remèdes. Il le proposait par exemple pour favoriser le développement des enfants ou pour traiter l’anémie. Selon lui, ce produit aurait également agi sur les affections laryngées. Ainsi, une tradition antique qui remonterait à son époque, conseille les infusions au miel contre les toux rebelles et lors d’infections de la gorge, remède de grand-mère encore largement proposé de nos jours. Curieusement, ces indications ont la vie dure. En 1959, le célèbre scientifique français Rémy Chauvin publia une série de travaux sur les vertus du pollen, dont il rapportait des effets très similaires, alors que l’utilisation thérapeutique du miel est aujourd’hui encore très répandue dans certains services de pédiatrie aux USA.

 

Le miel est perçu comme un aliment « naturel » et vivant. Entendons-nous bien sur le sens de ces mots. On le dit « naturel » parce qu’on le considère comme le fruit direct du travail des abeilles, étranger à toute action de la main de l’homme. Ce serait oublier que celles-ci pratiquent un butinage non sélectif, et que la pollution des plantes peut nous valoir des miels très largement contaminés, comme on le vit par exemple après le passage du nuage radioactif de Tchernobyl. Pour ce qui est du terme « vivant », on entend par là qu’il renferme des vitamines, des minéraux et même des protéines, par opposition au sucre qui lui, n‘en renferme pas et qu’on accuse de renfermer des « calories vides » ou d’être un « aliment mort », raffiné. D’ailleurs beaucoup de sujets végétariens excluent le sucre blanc (que d’aucuns qualifient même de poison !), mais ne cessent de proclamer que le miel, le pollen ou la gelée royale constitueraient des aliments indispensables à un bon équilibre nutritionnel, à l’égal du germe de blé, de la levure de bière ou des algues. Un praticien américain auteur de best-sellers, le Docteur Jarvis, a d’ailleurs versé maintes fois dans la dithyrambe à leur sujet. Hélas, la vérité apparaît cruellement tout autre ; si le miel offre quelques intérêts nutritionnels ce n’est pas en raison de sa teneur en micronutriments. Une portion normale de miel n’en représente qu’une source négligeable en regard de la plupart des autres aliments. Même chose pour le pollen et la gelée royale dont la pauvreté nutritionnelle, que rappelait un article très détaillé en 1987), ne fait aucun doute.

 

Cela étant, face au sucre blanc le miel offre un avantage, c’est son caractère vivant, à prendre cette fois dans un autre sens que celui usuellement proposé. Ce qualificatif fait ici allusion au fait que, même récolté, il continue d’évoluer, et que sous l’effet de certains des enzymes qu’il renferme les sucres se transforment. Selon l’ancienneté et le type de miel, on peut ainsi y trouver des quantités non négligeables de fructose, qui se comporte comme un sucre lent. Toutefois, ses taux varient d’un lot à l’autre et n’apparaissent jamais suffisants pour que le miel qui les contient commence à se comporter comme un sucre lent. Il n’en demeure pas moins intéressant à l’effort, et beaucoup de gels proposés sur le marché en comprennent.

 

Le miel renferme beaucoup d’enzymes, apportés par les espèces végétales que les abeilles ont butinées. On y trouve aussi des essences, et ces constituants expliquent sans doute l’effet laxatif de certaines variétés, éventuellement un léger effet diurétique (déjà remarqué il y a plus de 20 siècles, comme on l’a vu en introduction), voire un effet facilitateur sur les enzymes digestifs et un pouvoir bactéricide bien connu de nos grands-mères. On y trouve ainsi de l’inhibine qui ralentit la croissance de certains micro-organismes.

 



LE POLLEN N’AMLÉIORE PAS LES PERFORMANCES :

 

S’étant intéressé aux effets physiologiques des micro-constituants du pollen, Rémy Chauvin publia, en juin 1959, la synthèse de ses travaux qui semblaient indiquer, outre un apport en acides aminés et en vitamines qu’il jugeait intéressant si on avalait des doses assez élevées de pollen (plusieurs cuillerées à soupe), des effets sur notre santé lié à des substances qu’on a aujourd’hui identifiées comme étant des anti-oxydants bénéfiques, d’origine végétale, sans doute apportés par les abeilles. Pour autant, les quantités requises ne sont guère réalistes, et l’influence sur le statut minéral ou vitaminique demeure mineure, même dans ce cas-là. Ainsi, la consommation directe des fruits et légumes qui les renferment à des taux bien supérieurs paraît aujourd’hui une alternative bien plus crédible. Il suspecta également un effet anti-anémiant (établi chez la souris) et un pouvoir antibiotique qu’il ne savait pas à quel ingrédient du pollen attribuer. On n’a pas beaucoup avancé sur ces questions en 42 ans, ce qui laisse à penser qu’il n’y a pas grand chose à trouver...

 

Reprenant à leur compte ces bribes de travaux et jouant à fond sur la fantasmagorie des produits naturels, de nombreux fabricants, notamment aux Etats Unis, proposent des compléments alimentaires à base de pollen, vendus à un tarif prohibitif, en arguant qu’ils influent favorablement sur les performances. Quelques témoignages de la part de quelques-uns des plus beaux fleurons du sport mondial (les athlètes Lasse Viren, Abebe Bikila ou encore Charles Foster) semblaient accréditer cette hypothèse. Quant aux athlètes, ils s’offraient une bonne image à peu de frais, notamment Viren, qui fit également grand cas de sa prédilection pour le lait de renne, mais qui fut fortement soupçonné par la suite d’avoir eu recours à des méthodes un peu moins soft, telles que l’auto-transfusion…

 

Quelques travaux furent conduits pour tenter de démontrer l’intérêt de son utilisation. Beaucoup, menés au cours des années 60, ont pêché par la faute d’un flagrant manque de rigueur scientifique dans leur protocole et leur conduite. C’est pourquoi une étude minutieuse, menée sous l’égide du Pr Woodhouse en 1987, s’est révélée aussi instructive. Faisant appel à cinq volontaires bien entraînés (apparemment, on trouve moins de sujets acceptant d’avaler du pollen que de cobayes prêts à tester l’E.P.O….), valant tous moins de 16’30’’ aux 5000 m, il a comparé les effets de trois dosages de pollen (0, 1,35 g et 2,70 g). Ceux-ci étaient administrés, dans un ordre aléatoire, à raison de trois capsules par jour pendant 7 jours. Ces dosages et ces durées correspondaient à ce qui avait déjà été proposé dans les travaux précédents, conduits par d’autres équipes ayant obtenu des résultats contradictoires. Ces coureurs ignoraient le contenu des capsules et se trouvaient donc en « aveugle » par rapport au traitement. Des périodes sans traitement d’une semaine séparaient chacune des trois phases d’étude. A la fin de chaque semaine, on leur demandait de courir le plus longtemps possible sur un tapis roulant. On enregistrait, pour chaque situation, le temps que chacun arrivait à tenir, et on comparait ces résultats entre eux. On demandait également à ces volontaires d’évaluer sur une échelle de 0 à 10, la difficulté ressentie au cours de ces six efforts. Qu’en est-il ressorti ? Que pas plus sur le plan chronométrique ni que sur celui de la difficulté ressentie le pollen n’exerçait la moindre influence, y compris au dosage le plus fort.

 

Conclusion ? Il y a mieux à faire, et plus utile à faire qu’à dépenser son argent pour des produits à base de pollen ou de gelée royale.


DOCUMENTS CONSULTÉS :

 

CHAUVIN R (1959) : Prod.Pharmac., 14 (6) : 296-306.

DILLONJ.C., LOUVEAUX L (1987)  Cah.Nutr.Diét., 22 (6) : 456-65.

DUNNETT W, CROSSEN D (1980) : Runner’s World, 15 : 53.

HUCHET E, COUSTEL J, GUINOT L (2001) : ENSIAA Massy, note interne.

WHITE J Jr, RUDYJ O (1978) : J.Apic.Res., 17 (4) : 234-8.

WOODHOUSE ML, WILLIAMS M & Coll (1987) : Athletic Training, 22, 26-8.

 

 

Denis RICHÉ, pour « VO2 Marathon » - 2004

Photos : MCC

 


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