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NUTRITION OU MICRONUTRITION?

QUELLE EST LA PLACE DE L’ALIMENTATION DANS LA PREPARATION DU CYCLISTE DE HAUT NIVEAU ?

 

 

 

I - Quelques définitions, pour y voir plus clair…

 

 

 

Depuis le début des années 60, avec les premiers écrits sur la question, il est devenu incontournable de parler de l’alimentation du cycliste, voire de celle du coureur de haut niveau. Pour aller plus loin dans ce raisonnement, qui suggère que nos choix alimentaires influent sur nos performances, on a rapidement ajouté une connotation scientifique en  faisant également référence à la diététique ou à la nutrition. Souvent, pour beaucoup de personnes, ces deux termes sont considérés, à tort, comme équivalents. Plus rarement, ces dernières  années, on a aussi fait allusion à la micronutrition, approche encore plus poussée mais qui, malgré une émergence datant de la fin du siècle dernier, recèle toujours une bonne part de mystère pour beaucoup de sportifs. En tout cas une idée s’impose : la façon dont on se nourrit détermine la manière dont on performe. Avant d’aller plus loin dans cette voie, tentons d’abord de mettre un peu d’ordre dans toutes ces notion… chacun de nos lecteurs s’y réfère en en ayant sa propre idée- pas toujours claire-, sans savoir à quoi ces termes renvoient chez les autres, et réciproquement, ni sans en connaître exactement le sens.

 

 

 

Commençons par l’alimentation ; ce terme désigne la façon dont on élabore, dont on choisit et dont on consomme les aliments qu’on décide de manger. Cela implique que l’intérêt potentiel de l’un de ceux-ci (dont le contenu présenterait une composition particulière), va dépendre des modes d’agriculture, d’élevage ou des procédés de stockage et de cuisson. Cela semble une évidence, et pourtant… Il est aujourd’hui aisé de se procurer sur internet ou dans des ouvrages de vulgarisation des tables qui répertorient la richesse en un grand nombre de substances nutritives, pour une multitude de denrées, et de s’y reporter comme s’il s’agissait de « références absolues» ou de valeurs standard… elles attribuent par exemple à toutes les pommes, à toutes les noix ou à chaque tranche de jambon exactement les mêmes chiffres, comme si n’importe où dans le monde et à n’importe quel moment de l’année il s’agissait de clones comestibles ! En réalité, il existe une grande variabilité d’un échantillon à l’autre, s’expliquant notamment par les fluctuations des teneurs de différentes substances nutritives dans les sols où croissent les végétaux dont on se nourrit ou dont on alimente les animaux que nous mangeons ensuite. Un exemple illustre ceci de manière très caractéristique, celui d’un oligo-élément : le sélénium. Une compilation de mesures effectuées en divers lieux du globe, et regroupées dans une base de données internationale, a popularisé l’idée suivante : ce sont les noix du Brésil qui en constitueraient les meilleures sources. Or, si effectivement l’une des études a trouvé, dans un des échantillons testés, une grande richesse en cet élément, cette observation n’a de sens que pour les fruits identiques issus du même terroir. Cueillie ailleurs, cette noix ne présenterait plus forcément le même intérêt… (29). Pourquoi s’attarder sur cette notion ? Car la prépondérance accordée à ces données, en ignorant leurs modalités de recueil et ces fluctuations très prononcées, peut amener à conseiller des aliments en pensant- à tort- qu’ils recèlent une grande richesse en nutriments, ou à en écarter d’autres parce que, au contraire, ils présenteraient des particularités défavorables. On en vient alors à donner des conseils alimentaires inadaptés. Existe-t-il d’autres exemples ? Oui, considérons la viande rouge. Selon la façon dont l’animal aura été nourri, on verra le taux d’oméga 3 varier du simple au triple dans le morceau qu’on aura mangé… et si, sur le papier, « la viande c’est de la viande », dans les faits, selon son origine, l’impact nutritionnel et biologique changera du tout au tout. Conséquence de cette réalité ? En restauration collective (courses par étapes, stage) mais aussi pour les repas pris à domicile, les coureurs devront bénéficier non seulement de recommandations « diététiques » (terme défini ci-dessous), mais aussi recevoir des indications précises quant à la filière, à la traçabilité des denrées achetées et consommées, y compris pour ceux résidant à l’étranger, ce qui n’est pas une mince affaire. Pour résumer, en 2018, manger de la viande ou des œufs, peut s’avérer une très bonne initiative ou, au contraire, une démarche calamiteuse, sans qu’on le sache à l’avance… cela dépendant des sols, de l’alimentation, des traitements sanitaires, dont nous ignorons l’essentiel au moment de l’achat. Beaucoup n’ont aucune idée de l’importance de ces paramètres et posent malgré cela un avis définitif sur des catégories entières d’aliments (« c’est diététique » ou à l’inverse : « ce n’est pas bon pour le sportif »). Funeste erreur !

 

 

 

Cela impose de réfléchir à des réseaux d’approvisionnement en aliments sains, que ce soit pour chez soi ou en prévision de déplacements. Circuits courts, paniers « bio », « biocoop », filière « Bleu Blanc Cœur » (c'est une filière qui regroupe les produits d'origine animale terrestre qui, nourris au lin, renferment autant d'oméga 3 que le poisson. Ce peuvent être du jambon, des rillettes, du Comté, du boeuf...), anticipation sur les déplacements en procédant à des stocks appropriés des aliments choisis figureront parmi les solutions envisageables et à mettre en place.

 

 

 

Qu’est-ce que la diététique justement ? Ce terme désigne la manière de choisir ses aliments et d’organiser ses menus en fonction d’objectifs médicaux ou sanitaires. De ce fait, la prise en compte de la diététique amène, lors de la sélection des aliments,  à privilégier cette dimension rationnelle ou « intelligente »  davantage que toute autre considération, que ce soit le plaisir, l’éducation ou la portée symbolique, qui d’un coup, parce que la performance a un coût, n’existeraient plus. Manger deviendrait alors un acte mécanique, dénué d’émotion. Or, on sait aujourd’hui que ce qui en détermine vraiment la nature est beaucoup moins la connaissance et la motivation du consommateur que d’autres facteurs inconscients ou irrationnels (24). Leur déni ou leur méconnaissance peut expliquer l’incapacité de certains sportifs à s’inscrire- à long terme- dans une démarche méthodique et leur insistance, malgré les injonctions de leur encadrement, à manger « n’importe comment », comme on l’entend souvent dire.

 

 

 

Notons que le référentiel sur lequel s’appuient les conseils diététiques ne suit pas forcément l’évolution des connaissances. Assez souvent aujourd’hui, on rencontre des situations paradoxales où des recommandations codifiées, éventuellement dispensées dans des structures institutionnelles (hôpitaux, sports-études) contredisent les dernières parutions en la matière ; les conseils « diététiques » destinés à faire baisser le taux de cholestérol, par exemple, reposent sur des principes qui, pour certains, datent des années 80, et avaient déjà été invalidées à l’époque… La plus connue d’entre elles consiste à contingenter la consommation d’œufs. Cette pratique, qu’aujourd’hui encore on rencontre très souvent, vise à écarter les jaunes- en raison de leur richesse en graisses et en cholestérol, au profit des blancs (sources de protéines), voire à limiter le nombre d’unités consommées chaque semaine. Or, on sait depuis plus de 30 ans que leur ingestion quotidienne s’avère, au contraire, plutôt bénéfique, puisqu’elle favorise la chute de son taux circulant (19, 25). La diététique « sportive » n’échappe pas à cette tendance des « fausses vérités ». Elle s’est construite sur des connaissances incomplètes, principalement guidées par des considérations énergétiques (comment remplir le réservoir) et peu portées sur la manière de délivrer toutes les molécules utiles à nos tissus pour faire face aux contraintes liées à l’activité. Autrement dit, elle est restée sur une vision dont le paradigme n’a pas évolué depuis 40 ans. Pour cette raison, en pensant bien faire, un certain nombre de sportifs s’imposent des règles qui leur sont défavorables… La meilleure illustration de ces efforts inutiles nous est fournie par la tendance à supprimer les graisses pour maigrir, stratégie qui va à l’encontre de la physiologie- puisque les déficits en certaines d’entre elles contrarient l’aptitude à mobiliser nos réserves (7) : En fait, la privation des graisses empêche de maigrir ! On sait par exemple qu’en mangeant trop peu de lipides on favorise l’instauration, d’un déficit en « oméga 3 » lequel, ensuite, par action directe sur certains gènes impliqués dans l’aptitude à brûler les graisses,  va bloquer l’aptitude à dégrader les graisses corporelles. Cette croyance demeure pourtant solidement ancrée dans beaucoup d’esprits… car elle comporte sans doute une idée de sacrifice qui convient à beaucoup : sans souffrance, perdre du poids ne serait ni possible ni mérité…

 

 

 

Que désigne alors la nutrition ? Il s’agit de la science qui s’intéresse à « la valeur énergétique de l’aliment, aux effets biologiques de ses ingrédients, et au comportement alimentaire » (32). Cette définition, beaucoup plus large qu’on l’imagine classiquement, permet de la différencier sans mal de la « diététique ». Elle appelle aussi deux commentaires. Le premier d’entre eux porte sur l’effet « biologique » des composants de notre assiette… A ce jour, un aliment exerce une action sur l’ensemble de nos cellules par au moins trois mécanismes. D’abord, il renferme de nombreuses molécules nutritives (énergétiques ou non), et chacune d’entre elle apporte sa contribution à la couverture de nos besoins journaliers. Ensuite, il peut également apporter d’éventuels toxiques (polluants environnementaux, produits apparus lors du stockage ou de la cuisson). Enfin, il intervient en sollicitant notre système immunitaire, et quand le processus de reconnaissance et de tolérance se déroule mal des réactions adverses, dues à cet aliment, peuvent s’ensuivre. Ainsi, pour illustrer cette  réalité, un coureur peut à la fois, en dégustant ses sushis, bénéficier de son quota d’oméga 3, s’empoisonner au mercure et avaler un allergène.

 

 

 

Jusqu’à maintenant, l’organisation des recommandations nutritionnelles adressées aux sportifs, et les stratégies de santé publique n’ont considéré que le premier aspect, en le restreignant de surcroît essentiellement à l’aspect « macronutritionnel », c’est-à-dire aux teneurs en glucides, protides et lipides, et aux « calories ».

 

 

 

Le second concerne le « comportement alimentaire » par lui-même. Beaucoup considèrent classiquement- cela vaut tout autant dans le monde du sport qu’en dehors- que si on mange « mal », c’est-à-dire dans le non-respect de règles que la vision orthodoxe de la nutrition institutionnelle considère comme « justes » à cet instant-là, c’est parce qu’on ne sait pas ou qu’on n’a pas la volonté de suivre ces sages préceptes. Une telle représentation ignore complètement la complexité de l’acte alimentaire (24), dont j’ai évoqué plus haut quelques-uns des facteurs qui le déterminent, et qui met en jeu de multiples aires cérébrales. Il est largement inconscient, et peut même être influencé par des processus biologiques se tenant dans notre organisme, et dont le commun des mortels ignore tout. Diverses études ont par exemple montré que, au terme d’un effort ayant fortement mobilisé les graisses corporelles de réserve, un appétit spécifique pour le gras, à caractère compensatoire, se mettait en place aux repas suivants, incitant le sportif à rechercher davantage de denrées d’origine animale, y compris si en temps normal il n’en raffole guère (34-5),  et ce indépendamment de son éducation ou de sa volonté. On imagine à quel point chez des cyclistes possédant régulièrement moins de 10% de masse grasse corporelle, un tel phénomène peut se manifester… Toujours est-il que c’est comme cela et qu’il n’y peut rien. Ajoutons que parmi les différentes aires cérébrales impliquées dans l’acte alimentaire, certaines participent aussi à la réponse aux agressions physiques et psychologiques, au contrôle des émotions ou aux processus mnésiques; autrement dit des facteurs externes, indépendants de la faim, apparaissent susceptibles de moduler le contenu de l’assiette. L’exemple qui illustre le mieux ces relations complexes est celui de la sérotonine. Ce neuromédiateur participe à la gestion du stress, des émotions, du comportement alimentaire, et un grand nombre de situations peut contribuer à en faire chuter le taux dans nos neurones. Dans ce contexte, pour corriger cette anomalie, le cerveau déclenche un comportement compensatoire involontaire, sous la forme de pulsions sucrées, apparaissant notamment vers 17 h, symptomatiques et caractéristiques de cette situation. Elles visent à combler plus ou moins efficacement ce manque (33). Là où certains identifieraient un flagrant délit de délinquance alimentaire ou un manque de rigueur dans l’aptitude du coureur à « faire le métier », le micronutritionniste voit plutôt un trouble fonctionnel, souvent rencontré- qui plus est- dans un contexte inflammatoire (9, 27), comme je le détaille plus loin. Les blessures profondes liées aux charges d’entraînement pourraient alors influer sur la chimie du cerveau et, de là, décider en partie de nos choix alimentaires.

 

 

 

Enfin, les molécules régulatrices, porteuses des messages au cœur du réseau neuronal, les « neurotransmetteurs », sont exclusivement élaborées à partir des aliments que nous avalons, ou par les bactéries qui peuplent notre intestin. Qui plus est, elles-mêmes croissent ou décroissent en fonction de nos choix alimentaires (4, 10). On sait désormais par exemple qu’on peut « nourrir » le cerveau de façon à favoriser le parfait déroulement de multiples fonctions, importantes à la fois pour gouverner notre comportement alimentaire, mais aussi pour l’expression de toutes les aptitudes requises pour le bon accomplissement d’une performance : attention, mémoire, concentration, motivation, sommeil réparateur, tolérance à la frustration et au stress, etc… Cette modulation repose principalement sur la prise de bactéries sélectionnées en fonction de leur facilité à moduler la synthèse des neurotransmetteurs. Celles-ci se nomment les « psychobiotiques » (10). Or, l’exercice, en modulant la composition des populations résidentes va pouvoir, au même titre que nos choix alimentaires, influer sur la chimie cérébrale et toutes les fonctions qui en dépendent. L’un des rôles de l’alimentation va alors consister à nourrir le cerveau de manière optimale, de manière à garantir la préservation des fonctions qu’il exerce.

 

II - Qu’en est-il de la micronutrition ?

 

 

 

C’est cet intérêt majeur porté aux rôles fonctionnels de nos aliments qui a conduit à l’émergence de la micronutrition au cours des années 90 (7, 29). Cette manière d’envisager le rôle des aliments sur notre organisme, notre santé et, de là, sur nos performances, a signé une avancée essentielle et représenté une rupture indéniable avec tout ce qui a précédé. La micronutrition propose de porter un regard différent sur cette question des besoins individuels. Elle invite ainsi à prendre en compte d’éventuels troubles fonctionnels ; des soucis de digestion, de fatigue, d’infection sont considérés, en première intention, comme témoignant d’une inadéquation des choix alimentaires du sujet, ne couvrant plus ses besoins propres. La démarche proposée (et appliquée auprès des cyclistes professionnels que nous avons suivis) va alors consister à relever l’ensemble des troubles présents à un moment donné, et à les mettre en lien avec d’éventuelles insuffisances,  à des déséquilibres ou à des phénomènes d’intolérance. Ces liens étant établis, on élaborera une stratégie visant, grâce à un apport approprié et à des complémentations ciblées,- confortées par des indicateurs biologiques pertinents- à restaurer les fonctions perturbées. Parmi les nutriments dont on rehausse les apports figureront notamment des éléments présents en petite quantité dans nos aliments et nommés les « micronutriments », englobant vitamines, minéraux, oligo-éléments, prébiotiques ou encore phytonutriments. Ce sont eux qui ont donné son nom à la micronutrition. Les conseils correctifs qui en découleront ne pourront s’appliquer, à un instant « t », qu’à la personne considérée et pas à ses copains d’entraînement, ni au reste de l’équipe, et n’auront de sens qu’au moment où ces perturbations sont perceptibles. Cela exclut d’appliquer des recettes ou des modèles qui iraient à tout le monde…

 

 

 

Aujourd’hui, une nouvelle étape a été franchie : On découvre jour après jour que de nombreux constituants de notre assiette agissent sur nos gènes et peuvent tempérer l’action défavorable exercée sur ceux-ci par le stress, la pollution, ou encore certaines infections (31). Ces facteurs, en introduisant des fausses notes dans la symphonie des gènes, peuvent potentiellement affecter la qualité de la réponse à l’entraînement et, à terme,  perturber la santé des coureurs. J’ai proposé, pour décrire cette évolution, d’introduire le terme d’épinutrition. Ce nouveau concept amène également à considérer les gènes des bactéries qui peuplent notre intestin, population baptisée le « microbiote ». En effet, ils s’activent plus ou moins en réponse à l’exercice, au stress, aux infections, et communiquent même avec les cellules, et plus particulièrement avec le compartiment qui régit la réponse à l’entraînement, la mitochondrie (3, 8). Ainsi, on possède ou non une flore qui nous rend adaptables (ou répondeurs) à l’entraînement, et cette caractéristique suscite beaucoup d’intérêt depuis quelques années. En effet, des nutriments peuvent s’inviter à ce dialogue, moduler l’influence du microbiote sur la réponse à l’exercice, mais aussi optimiser le « mental » ou l’aptitude à ajuster son comportement alimentaire. Certaines bactéries sélectionnées de manière spécifique, et qu’on nomme les « probiotiques », aident aussi à ajuster ou à reprogrammer ces phénomènes. On y a recours en micronutrition depuis près d’un quart de siècle (7, 29). Aujourd’hui, l’intuition initiale a laissé place à une approche scientifique validée, tant les publications se sont multipliées à leur sujet.

 

III - Quel est le rôle des aliments qu’avale le sportif ?

 

 

 

3.1 – D’une vision restreinte…

 

 

 

Dans l’approche classique du sport de haut niveau, on considère que l’objectif de l’entraînement consiste à favoriser des réponses tissulaires dont on sait aujourd’hui qu’elles mettent en jeu des mécanismes épigénétiques, c’est-à-dire la lecture de séquences de gènes qui vont, à terme, contribuer à une modification des compétences des tissus du sujet entraîné (31). La préparation suivie permettra par exemple d’augmenter le nombre d’enzymes au cœur du muscle, d’améliorer le fonctionnement des mitochondries, d’augmenter la longueur des myofibrilles contractiles au cœur du muscle (28), ces différentes réponses se traduisant, in fine, par de meilleures aptitudes d’endurance, de force ou de vitesse, selon les sollicitations proposées. Dans ce paradigme, l’alimentation vise simplement à assurer la couverture des besoins majeurs permettant la réalisation optimale de ces séances et une réponse appropriée des tissus concernés (voir la figure 1). De manière un peu caricaturale, cela revient à « manger des pâtes pour l’énergie, avaler des protéines pour refaire du muscle, et fuir le gras pour rester maigre ! ».  Les réserves de glucides dans l’organisme sont faibles et peuvent constituer le facteur limitant lors d’efforts intenses. Cela explique l’avis un peu ironique du physiologiste Sud-Africain Tim Noakes (22) : « L’essentiel de la fonction des nutritionnistes du sport aujourd’hui, écrivait-il à la fin de ce siècle, consiste à trouver le meilleur moyen de gaver de sucres les sportifs ». Effectivement, depuis le début des années 60 jusqu’à un passé récent, les stratégies alimentaires proposées ont surtout visé à modéliser la meilleure façon d’assurer la saturation des réserves de glycogène, et secondairement de perdre de la masse grasse, de gagner de la masse maigre, et de gérer les réserves hydriques à l’effort.

 

Un autre pan de la diététique de l’effort repose sur la recherche de molécules ou de stratégies alimentaires dotées d’un effet « ergogène», c’est-à-dire capables de procurer une amélioration des performances chez l’ensemble des sportifs qui l’utiliseraient (26). Il s’agirait en quelque sorte de « dopants naturels », statut qu’ont tour à tour endossé la caféine, la L-carnitine, la créatine ou plus récemment le jus de betterave (18, 20)[1]. Paradoxalement, si on réussit à démontrer scientifiquement que la molécule possède une réelle efficacité, on dissuadera tôt ou tard de l’utiliser, et ce pour raison éthique. Ajoutons qu’à aucun moment on n’envisage l’intérêt potentiel d’un nutriment par son aptitude à corriger un déficit et, par cette intervention à restaurer des aptitudes partiellement amputées (7). Ainsi, on a longtemps entendu dire, dans le monde de la médecine du sport, qu’apporter du magnésium ou du zinc n’avait pas d’intérêt car aucune étude ne montrait que cela améliorait les performances… ce n’est pas le sujet, l’essentiel consistant à corriger un déficit chronique, très répandu dans la population des sportifs de haut niveau. Ce déficit altère les aptitudes physiques et cognitives. Cette vision restreinte a longtemps freiné la mise en application des progrès de la connaissance. Qui sait, par exemple, que l’utilisation des probiotiques pour renforcer l’immunité des sportifs a été proposée, en France, dès 1995 ?

 

 

 

Autre exemple de cette manière de raisonner, celui des recommandations actuelles concernant l’apport glucidique à l’effort. Celles-ci sont encore clairement déterminées uniquement par rapport à leurs effets à court terme sur la performance (6, 15), et pas du tout en considérant les éventuelles conséquences délétères, au long cours, d’un déficit cellulaire chronique en glucose, en particulier durant les séquences d’exercice. Or, la privation en glucides de nos tissus constitue le meilleur moyen de créer un état de déficit immunitaire chronique chez un sujet initialement en bonne santé (21, 23, 31) ou de favoriser un bruit de fond inflammatoire. A titre d’exemple, attardons-nous sur un débat très récent et plutôt animé, qui divise en deux camps le monde du vélo. Faut-il consommer des boissons énergétiques durant les épreuves contre-la-montre ? Certains jugent en effet qu’on peut s’en passer, dans la mesure où l’abstinence règle le problème du temps perdu pour boire, de la gêne gastrique occasionné par la déglutition des liquides, allège la machine d’un bidon inutile et que la suppression des glucides durant ces séquences ne se répercute pas forcément sur la qualité des efforts brefs et intenses. En effet,  le simple fait de se rincer la bouche avec des glucides, sans les avaler suffit apparemment à « mimer » les effets d’une véritable prise de boisson énergétique (5). Comment cela s’explique-t-il ? Cela fait appel à la stimulation des glucorécepteurs buccaux, qui enverraient des signaux au cerveau, lequel ajusterait alors le métabolisme en conséquence, et contrôlerait le niveau de pénibilité perçu. Pour eux, l’existence de ce phénomène permettrait de se passer d’apport glucidique, et d’en retirer de réels avantages chronométriques.

 

 

 

Par contre, ceux dont je fais partie et qui se montrent plus réservés sur cette stratégie, considèrent les répercussions éventuelles, jour après jour, d’une privation glucidique répétée lors d’un effort intense, et des courtes périodes de vulnérabilité immunitaire, de souffrance digestive et de perturbations hormonales qui peuvent en résulter. Est-il vraiment justifié de gagner quelques secondes sur un chrono pour le payer chèrement plus tard ? Sans doute que non.

 

 

 

Ainsi, un regard plus global sur la question de la prise de glucides à l’effort, dépassant la simple question de l’effet immédiat, « ergogénique » sur la performance, doit d’abord tenir compte des répercussions défavorables du manque de glucides sur notre organisme, en particulier sur le plan immunitaire (Bartlett 2014). Il en va de même avec la méthode de l’entraînement « low carb »[2], dont les avantages éventuels, à court terme, sont surpassés par les effets défavorables qui en découlent à plus longue échéance, les pires consistant certainement- là encore- en une fragilisation progressive des défenses immunitaires (14). Mais on relève aussi, dans ce contexte, d’autres répercussions négatives, y compris sur les processus intimes se déroulant dans les cellules et permettant d’utiliser correctement les carburants énergétiques (31). L’agression de la muqueuse intestinale sera également plus marquée, et le contrôle de l’inflammation ou la protection de nos tissus significativement entravés, comme je l’ai développé dans le dernier chapitre de mon livre le plus récent.

 

 

 

Autre vogue très récente, étayée par des travaux de laboratoire et ayant déjà des implications pratiques sur le terrain : l’entraînement dans le chaud, que certains appliquent, de surcroît, dans un contexte de déshydratation. Il est reconnu, aujourd’hui, que la pratique de l’entraînement à la chaleur, dans le cadre de certaines séances d’entraînement très codifiées permettrait, lors d’expositions ultérieures, de mieux faire face à ce type de contrainte (1). Quelques-uns, parmi les plus grands cyclistes actuels, ont même fait l’acquisition de « thermoroom » pour, à l’instar de ce qui se fait avec la pratique de l’entraînement en altitude simulée, se placer dans le contexte de la canicule à n’importe quel moment de la saison. Est-ce réellement un avantage ? Ce faisant, on accepte de facto le risque de s’exposer à une authentique hyperthermie à l’effort au cours de ces séances, celle-ci pouvant survenir indépendamment de l’état d’hydratation du cycliste, alors qu’on a tendance à confondre les deux, y compris lors des mises en garde adressées aux sportifs. Ainsi, on entend régulièrement dire aux cyclistes de boire pour lutter contre le chaud, alors que si la dérive thermique est importante, cela ne suffit pas. Une mauvaise tolérance à la chaleur peut même, dans certaines circonstances, favoriser le déclenchement d’une réaction inflammatoire provoquée par l’entrée intempestive de toxines provenant tu tube digestif dans ce contexte où la muqueuse intestinale se montre très perméable (37), et le restera y compris lorsque l’exposition à la chaleur aura cessé. L’inflammation pourrait alors se pérenniser, et contrarier le bon déroulement des séances, voire des compétitions ultérieures. Cela n’empêche que pour certains, le jeu semble en valoir la chandelle, quitte à s’y brûler !

 

 

 

La manipulation de certaines habitudes d’alimentation ou d’hydratation, jusqu’alors admises, pour un éventuel effet à court terme sur la performance,  est une tendance de plus en plus  répandue dans le cyclisme professionnel. Mais elle porte en fait préjudice à moyen terme ou à long terme à ceux qui les mettent en application. Cette façon d’aborder l’alimentation du cycliste ne nous paraît donc pas appropriée.

 



[1] Comme à chaque fois qu’un nouvel ergogène potentiel est découvert, l’histoire passe par trois étapes : l’engouement lié à la publication des premières études, les premiers doutes  qui font suite à la parution des premiers travaux contradictoires, puis le reflux et une utilisation marginale et limitée à des situations très restreintes.

[2] Cette tendance récente se caractérise par l’adoption de rations délibérément appauvries en glucides, et qu’on désigne avec le néologisme anglais « low carb » (de « low » désignant « bas » et « carb » pour « hydrates de carbone », l’autre nom chimique des glucides). En fait, l’enjeu de l’entraînement sans réserves de glucides vise à favoriser durablement certaines adaptations utiles au sein de nos tissus, notamment une avidité plus importante favorisant d’augmenter le plafond de stockage, et ainsi à optimiser la performance. Elle ne se montre efficace, par contre, que si le coureur dispose de réserves de glucides optimales le jour « J » (2).

 

3.2 - A une approche systémique

 

Les connaissances actuelles, y compris en dehors du domaine de la physiologie de l’exercice, ont permis de comprendre un point essentiel. Comme indiqué ci-dessus, les changements qui surviennent dans notre organisme de manière durable, en réponse à l’entraînement, reposent sur des mécanismes appartenant à l’épigénèse. Ainsi chaque stimulus que représente une session d’entraînement provoque la lecture de certaines séquences de nos gènes, et la conséquence de ce processus, lorsqu’il se répète un nombre suffisant de fois, sera la suivante : On mesurera, au cœur des cellules, un plus grand nombre de protéines, d’éléments contractiles, d’éléments structuraux impliqués dans l’élaboration de mouvements ou la production d’énergie. Le monde de la physiologie de l’exercice s’engage donc avec un grand enthousiasme dans ce nouveau champ de recherche, dans le but compréhensible de mieux savoir quel effet exerce tel type de séance, et comment observer dans notre organisme le réel effet épigénétique de l’entraînement. Or, comme je le développe dans « épinutrition du sportif » (31), d’autres facteurs peuvent aussi provoquer la lecture de certains gènes, parfois dans un sens qui conforte le bénéfice procuré par l’exercice, mais le plus souvent dans un sens opposé.
Les compétences sportives d’un sujet, à un instant précis, dépendent donc de la manière dont certains gènes sont traduits, et des interactions respectives de l’exercice, du stress, de la pollution, des infections, des aliments, et plus encore du dialogue existant entre notre « microbiote », et les centrales énergétiques de nos cellules, les mitochondries, elles-mêmes d’origine bactérienne et fixées dans nos cellules au cours de l’évolution (8). En quelque sorte, tout se passe comme si le monde bactérien présent dans nos intestins modulait le développement de nos aptitudes et notre évolution dans le sens qui lui serait le plus favorable…

Les compétences sportives d’un sujet, à un instant précis, dépendent donc de la manière dont certains gènes sont traduits, et des interactions respectives de l’exercice, du stress, de la pollution, des infections, des aliments, et plus encore du dialogue existant entre notre « microbiote », et les centrales énergétiques de nos cellules, les mitochondries, elles-mêmes d’origine bactérienne et fixées dans nos cellules au cours de l’évolution (8). En quelque sorte, tout se passe comme si le monde bactérien présent dans nos intestins modulait le développement de nos aptitudes et notre évolution dans le sens qui lui serait le plus favorable… Dans cette perspective beaucoup plus systémique, schématisée sur la figure ci-dessous, on comprend alors que le rôle de l’alimentation consistera à apporter les nutriments qui garantiront le bon déroulement de ces adaptations mais qui permettront également de nous protéger contre les effets indésirables du stress (y compris celui lié à l’altitude ou à la chaleur), des infections, de la pollution et de délivrer les acteurs de l’épinutrition, c’est-à-dire les ingrédients tirés de notre assiette et capables d’éviter les fausses notes lors de la symphonie de la réponse de nos gènes à l’entraînement. Vaste projet… Comment savoir si les musiciens jouent correctement leur partition ? Si ce n’est pas le cas, des impacts durables apparaissent, soit sous la forme de troubles fonctionnels, soit sous celle de perturbations biologiques évaluant des impacts « silencieux » (lorsqu’ils sont présent en dehors de troubles fonctionnels) ou évolutifs. Les répercussions, en effet, portent sur le contrôle de ce qu’on nomme le stress oxydatif (canalisé plus ou moins efficacement par les anti-oxydants de notre assiette- voir l’encadré), sur le maintien de l’étanchéité de la muqueuse intestinale, sur la préservation d’une immunité performante, sur l’absence d’une inflammation chronique et pathologique, et enfin par l’expression d’aptitudes mentales et cognitives et un contrôle des émotions qui s’avèrent nécessaires à toute réussite sportive au plus haut niveau. La surveillance du coureur vise à donc à éviter toute détérioration sur ces plans-là.

 

Grâce à cette manière d’aborder l’alimentation, on n’évoquera plus- comme trop souvent- un éventuel problème de « mental » d’un sportif en proie au doute, mais on va plutôt raisonner sur la réalisation d’une bonne nutrition cérébrale et sur la manière d’éviter que les impacts des infections, du stress, d’apports énergétiques ou micronutritionnels inadaptés, viennent affecter le fonctionnement cérébral. La figure 2 synthétise ces éléments, et on constate que selon l’intrication de ces paramètres et leurs influences respectives, un même entraînement, selon le contexte, l’individu et son alimentation, pourra déboucher soit sur une adaptation efficace et une bonne réponse à l’entraînement, soit au contraire sur un état de désadaptation. Ce dernier était jusqu’à maintenant qualifié de « surentraînement », de manière impropre car, vous l’aurez compris, ce n’est pas qu’une affaire de « trop » ou de trop peu » d’entraînement qui dicte la réponse physiologique.

 

 


ENCADRE : Le stress oxydatif.

De tous les agresseurs auxquels nous pouvons nous trouver confrontés, le plus virulent est théoriquement, et sans conteste, l’oxygène que nous consommons à chacune de nos inspirations. En effet dès qu’on respire, et a fortiori lors d’une activité musculaire (durant laquelle les apports en oxygène s’accroissent fortement pour faire face à nos besoins en énergie), une fraction de ce gaz que nous consommons, de l’ordre de 2 à 5%, échappe aux voies métaboliques habituelles et se trouve engagé dans des réactions annexes, dites « radicalaires « . Au cours de celles-ci, des molécules instables et très réactives se forment. On les qualifie « radicaux libres », dont la formation à des taux normaux peut participer favorablement aux adaptations, en particulier au cœur de la mitochondrie. Par contre, leur production en excès est susceptible d’attaquer les liaisons fragiles au sein des molécules et d’agresser les cellules. Un stress oxydant chronique constitue alors une cause de désadaptation. Tout, finalement, est une affaire de dose et de durée !  Ce processus d’agression chronique reçoit le nom d’«oxydation ». Il va modifier ou casser la structure des protéines, avec en particulier une inactivation des enzymes, altérer les lipides, désorganisant la membrane cellulaire et diminuant sa fluidité ou encore atteindre l’ADN, affectant les gènes, avec des répercussions potentielles sur l’épigénèse.

 

Pour nous en protéger, nos cellules et nos tissus mettent en jeu divers moyens de défense, qu’on désigne par l’expression « défenses anti-radicalaires ». A un instant donné, l’état d’agression subi par notre organisme va donc dépendre à la fois des diverses agressions subies (elles varient selon le contexte) et de l’efficacité de nos systèmes de défense, modulés à la fois par notre alimentation et par l’efficacité des processus épigénétiques qui se tiennent dans notre organisme. Sur quoi repose cette protection ? Elle dépend en partie de l’activité de certaines enzymes capables de neutraliser ces entités réactives. Leur intervention se trouve sous la tutelle de gènes spécifiques, et cette caractéristique explique que nous ne disposions pas de moyens égaux. Elle dépend aussi de la présence optimale de nutriments « anti-oxydants », qui sont soit des adjoints de ces enzymes, soit des agents « free lance » qui interviennent directement sur les membranes et collaborent entre eux, comme la vitamine C, la vitamine A, la vitamine E… ou le glucose. Si ce dernier vient à manquer, le niveau d’agression subis et les dommages causés s’avèrent plus importants.

 

 

IV - Quels sont les impacts à surveiller et à prévenir ?

 

Lorsque la désadaptation se met en place, plusieurs processus peuvent survenir, seuls ou simultanément, et contribuer à l’expression de troubles fonctionnels divers- atteinte de l’humeur, symptômes digestifs, douleurs, infections récurrentes, troubles du sommeil, etc…- autant qu’à une stagnation ou à une régression des performances. Ces différents « maillons faibles » vont faire l’objet d’un dépistage méthodique et s’intégrer la réflexion analytique mise en œuvre. Toutes les perturbations rencontrées n’ont pas une égale importance (voir la figure 3), les principales, dont découlent toutes les autres étant un stress chronique mal géré, un déficit immunitaire et une dysbiose. La figure 3 permet de comprendre que, même en présence d’un stress oxydant chronique, validé par une anomalie biologique, la réponse ne consistera pas forcément à apporter des anti-oxydants, sans remettre en cause la manière de concevoir la planification, l’entraînement, ni sans renforcer l’immunité rendue vulnérable dans ce contexte. Elle permet également de mettre en évidence le fait que l’inflammation ne survient pas forcément en réaction à des traumatismes mécaniques, comme dans le cadre de la pratique de la course à pied ou du rugby, sports pour lesquels les impacts subis sont clairement identifiés. Cet état inflammatoire peut résulter de périodes de manque de glucides, dans les cellules, s’étendant sur de trop longues périodes (17), mais aussi d’une vulnérabilité immunitaire entretenue par les effets conjoints d’agressions infectieuses répétées et de déficits nutritionnels, et enfin de la réaction provoquée par l’arrivée d’éléments antigéniques dans l’organisme, consécutivement à l’agression de la muqueuse intestinale (31).

 

L’hyperperméabilité intestinale chronique (HPI sur la figure 3), résulte pour sa part des effets propres de l’activité, à travers le phénomène désormais bien connu d’ischémie- reperfusion, des modifications du microbiote intestinale sous l’effet de l’exercice (les tailles respectives des différentes populations changent), de la vulnérabilité immunitaire induite par l’exercice, et enfin du stress aigü ou chronique qui modifie l’équilibre du microbiote. Cet état émotionnel influence en effet significativement le climat immunitaire (rendu pro-inflammatoire) et affecte la synthèse de neurotransmetteurs (36). Enfin, les troubles cognitifs font suite à un manque de neuromédiateurs dans certains neurones, et ces déficits provoquent un ensemble de perturbations (troubles d’attention, de concentration, sommeil altéré, défaut de vigilance, manque de motivation, pulsions sucrées, vulnérabilité au stress, etc…) qui se répercutent peu ou prou sur les aptitudes des sportifs. Ce manque peut résulter de plusieurs phénomènes :

 

-        Un défaut d’apport de « précurseurs », c’est-à-dire des nutriments grâce auxquels on fabrique les neuromédiateurs. Un tel manque résulte souvent d’un détournement de ces précurseurs, qui sont des acides aminés, vers le métabolisme énergétique, surtout en cas de défaut d’apport glucidique.

 

-        Un « turn over » accéléré. Plus le cerveau est sollicité, plus il use ces molécules et plus il doit piocher dans les précurseurs pour fabriquer de nouvelles molécules de messagers, venant remplacer celles qui ont été utilisées. Un tel train de vie, s’il se perpétue, peut occasionner un décalage entre les besoins et les apports, et peu à peu des signes de déficit s’expriment (29).

 

-        Un dialogue perturbé entre le microbiote et les neurones, ayant comme conséquence d’entraver le bon déroulement des échanges d’informations entre les neurones (30, 36). De telles anomalies peuvent par exemple mettre en jeu des phénomènes d’interférences, au cours desquels des toxines microbiennes ou des cytokines produites par le système immunitaire vont interagir avec des récepteurs et affecter l’équilibre, le sommeil, le niveau d’anxiété ou la tolérance à la douleur (11). Dans ce contexte, certains aliments jouent un rôle aggravateur vis-à-vis de ces interférences, notamment les dérivés du gluten et, à un degré moindre, de la caséine (30). L’exercice mal conduit favorise de telles anomalies.

 

-        Un détournement accru. L’exemple le plus représentatif, encore une fois, concerne la sérotonine. Moins bien fabriquée en cas de troubles digestifs ou d’inflammation, elle va voir sa synthèse chuter dans toutes ces situations apparaissant dans un contexte où l’entraînement commence à « désadapter » le coureur. Ainsi, des signes évocateurs de manque de sérotonine, tels que la survenue de pulsions sucrées, de l’irritabilité, des difficultés d’endormissement ou une tendance exagérée au grignotage témoigneront d’un manque de disponibilité en sérotonine, et pourront mettre sur la piste d’un éventuel état inflammatoire, dont les causes seraient à identifier et à corriger.

 

On comprend donc que la correction individualisée des troubles fonctionnels ou des anomalies biologiques ne consiste pas en une simple normalisation des valeurs biologiques perturbées ni en l’apport de précurseurs ou de nutriments déficitaires. Il s’agit plutôt d’intervenir sur les causes, et en règle générale les corrections mises en œuvre portent sur les ajustements alimentaires (les apports glucidiques journaliers, notamment à l’effort), sur la correction des perturbations (cicatrisation intestinale, modulation de l’immunité), sur des complémentations fonctionnelles, et sur un réajustement de la charge de travail et des plages de repos, tout ceci visant- par une approche systémique globale-, à restaurer l’état adaptatif et une santé optimale, sans lesquelles réaliser des performances durables deviendrait impossible !

 

Les éléments résumés dans la figure 3 nous suggèrent que l’entraînement ne constitue pas un espace infini qu’on pourrait toujours augmenter sans conséquence néfaste. Au contraire, passé un certain volume horaire moyen hebdomadaire, les bénéfices qu’on espère retirer d’une charge de travail externe importante, sont en partie annihilés par des perturbations internes contrariant l’adaptation de l’organisme. Une alimentation personnalisée et ciblée ne permettrait pas forcément de les corriger. Une approche alternative consisterait plutôt à rechercher une optimisation de la préparation, au sens large du terme, avec une approche individualisée et qualitative des charges d’entraînement, de l’alimentation, du contexte d’activité, nécessitant une réflexion sur la gestion du stress et une planification au long cours. Tout ceci s’envisagerait dans le but d’accompagner le cycliste dans sa progression tout au long de sa carrière, sans affecter son capital santé. A l’inverse, celui qui appliquerait à son profit l’ensemble des dernières connaissances en matière de nutrition, se complémenterait de manière appropriée, mais refuserait de remettre à plat les principes de son entraînement ou le contexte dans lequel il se déroule, ne tirerait aucun bénéfice de sa rigueur nutritionnelle… Elle ne ferait que retarder le moment où il lâcherait prise. Il n’existe pas d’issue sans une stratégie globale systémique inter-disciplinaire et individualisée. Les progrès à venir ces prochaines années se feront certainement dans ce sens.

 

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