« Pour être coureur, il faut courir ». Forts de cet aphorisme, beaucoup d’athlètes et de préparateurs considèrent encore que consacrer du temps à une autre activité physique est, lorsqu’on se prépare pour une épreuve pédestre, une véritable perte de temps. L’histoire lointaine de notre sport et des travaux parus en catimini depuis dix ans nous enseignent cependant que cette condamnation de la marche est un peu rapide…
SPÉCIFICITÉ OU DIVERSITÉ ?
On trouve autant d’écrits selon lesquels un coureur doit seulement courir que d’autres pour lesquels, du moment qu’une séance provoque une adaptation, elle est utile, fût-ce dans le cadre d’une activité radicalement différente de la pratique d’origine du sujet. Les uns n’ont pas plus raison que les autres, d’autant que les bénéfices à attendre dépendent largement du niveau de pratique du sujet dans les différents sports concernés, et de son positionnement dans la hiérarchie. Proposer du kayak à un marathonien en 2 h 10 mn ne l’aidera pas forcément. Mais quid de tous les autres ? Une relative mixité serait relativement intéressante, en tout cas dans la mesure où les activités annexes ne représenteraient pas une fraction trop importante de l’entraînement total et que la période concernée se situe encore assez loin de l’objectif majeur de la saison, pour lequel les spécialistes semblent s’entendre pour préconiser une forte dominance de course…. Là encore, il est clair que ces recommandations seront à nuancer au cas par cas, en fonction de multiples paramètres. Ce débat n’est pas encore refermé. Très théoriquement, le principe de « spécificité », très largement reçu comme un « dogme » jusqu’au début des années 80, veut que pour être performant à la course, mieux vaudrait courir que pédaler, nager ou marcher. Pourtant l’exemple des triathlètes prouve que la natation ou le vélo permettent de progresser en tant que coureur. Mais qu’en est-il de la pratique de la marche ou, sous une forme plus moderne, des « steps », activité de plus en plus en vogue dans les salles de sport ?
DES BÉNÉFICES DÉMONTRÉS… CHEZ DES ATHLÈTES PEU ENTRAÎNÉS :
Il paraît incongru de considérer que la marche puisse faire partie de l’entraînement du coureur de fond. C’est une activité que d’aucuns jugent trop différente de la course et trop peu intense. Les mêmes trouvent naturel qu’un coureur de fond, en période « foncière », passe l’essentiel de son temps à trotter à une allure qui représente à peine plus que la moitié de sa VMA. Se trouve-t-on de fait davantage dans un contexte de « spécificité », ou s’agit-il simplement de déguiser en une forme « acceptable » par son subconscient une activité légère d’entretien, dont le seul rôle est de servir de tampon entre deux séances agressives ? Toujours est-il que, dans le cadre de leur préparation à des objectifs olympiques sur 1500 ou 5000 m les coureurs finlandais des années 20, alors les maîtres sur la distance, intégraient à leur préparation plusieurs séances hebdomadaires de marche. Des informations, empruntées à un ouvrage de Mikkola paru en 1929, nous apprennent ainsi que les marathoniens intégraient six mois avant leur objectif des sessions de marche comprises entre 15 et 35 km, alors que les coureurs de 5000 et 10.000 m se contentaient de sorties de 10 à 20 km, contre 8 à 15 pour les spécialistes de 1500 m. Classiquement, chaque groupe couvrait ces distances 2 à 4 fois par semaine jusqu’à fin mars. Il était recommandé de s’exercer sur des terrains accidentés et à un rythme relativement soutenu, à la fois pour solliciter la force musculaire et pour faire davantage travailler le cœur. A partir de ce moment-là, l’importance relative de la marche diminuait graduellement jusqu’aux compétitions estivales. En guise d’illustration sachez que les coureurs de 5000 et 10.000 m, au début du printemps, marchaient environ 60 km par semaine et couraient 18 km. Les marathoniens, pour leur part, marchaient 120 km par semaine et couraient 24 km. Le pic de préparation était atteint en mai. Certaines planifications figurent dans le tableau ci-dessous, emprunté à l’incontournable ouvrage de Tim Noakes « Lore of running ». Elles montrent que même à (S- 5) ou (S-4) la marche n’était pas bannie, loin de là.
Certes, cette façon d’incorporer la marche semble tout droit sortie d’une autre époque. Mais aujourd’hui encore 95% pour ne pas dire plus, des coureurs sur route ont une VMA inférieure à celle des champions de ce début du XXe siècle. La question de l’intérêt possible de la marche chez eux n’est donc pas si saugrenue qu’il y paraît… A fortiori si on la pratique en montée, dans des escaliers ou sur un stepper.




TABLEAU : PRÉPARATION POUR 5000 ET 10.000 M DES COUREURS FINLANDAIS DES ANNÉES 1920.
JOUR MATIN SOIR
2 mai 10 km marche 2 x 150 m à 100%
3000 m à 75%
4 mai 5000 m à 85%
6 mai 15 marche 3 x 150 m à 100%
2000 m à 75%
7 mai 6 km course 600 m (75%)
1500 m facile
8 mai 5 x 50 m (100%)
1000 m facile
9 mai 8 km marche 4000 m (facile)
11 mai 10.000 m (de 70 à 75%)
13 mai 8 km marche 300 m (75%)
2000 m facile
14 mai course de 8 km
TABLEAU : PREPARATION TERMINALE DES MARATHONIENS FINLANDAIS DES ANNEES 20 :
JOUR MATIN SOIR
1er avril 18 km marche 10 km course
2 avril 15 km course
4 avril 45 km marche
6 avril 25 km marche
7 avril 20 km marche 15 km course
9 avril 15 km marche 15 km course
11 avril 20 km course
13 avril 15 km marche 10 km course
14 avril 15 km course
moyenne par semaine : 50 km de course et 72 km de marche.
UNE ACTIVITÉ RÉÉVALUÉE A L’ERE MODERNE…
Quiconque entre dans une salle de remise en sport ou autre club de « fitness » tombe immanquablement sur ces machines dont les utilisateurs rappellent les hamsters de notre enfance qui tournaient sans fin dans une roue dont ils ne partaient jamais ; ces « steps » simulent des marches et constituent un exercice qui, pour des observateurs avisés de la gent humaine, paraissent représenter le comble de l’absurdité : monter sur place des escaliers invisibles qui ne mènent nulle part. La banalisation de ces appareils qui simulent une marche rapide dans des escaliers s’est faite au début des années 80 aux USA, et une décennie plus tard la vague a déferlé chez nous. L’intérêt potentiel de cette forme d’activité qui, sur le terrain, semblait se montrer assez efficace dans son aptitude à remettre ses utilisateurs dans un bon état de forme, a donc très vite éveillé la curiosité des scientifiques. Ainsi, une étude particulièrement rigoureuse (par la méthodologie, par le nombre et le niveau physique des volontaires, et par la durée de la préparation) a été publiée en 1993. Menée auprès de 25 étudiantes sportives, elle a consisté à comparer les effets respectifs d’un entraînement en step ou en course à pied sur la performance chronométrique réalisée lors d’un test de 1,5 mile (2400 m). La préparation a duré 9 semaines, durant lesquelles 4 séances hebdomadaires devaient être effectuées, soit toutes par l’intermédiaire d’une séance de step, soit toutes à la course. Initialement, on demandait à ces jeunes femmes d’effectuer 30 mn de l’activité pour lesquelles on les avait sélectionnées à un rythme cardiaque correspondant à 70-80% de la fréquence cardiaque maximale (FCM). Au final, les sessions duraient 45 mn, et l’intensité avait été portée à 85-90% de la FCM. Les séances s’effectuaient donc à un niveau assez intense, supérieur à celui auquel elles étaient habituées. Il était évidemment susceptible de favoriser des adaptations significatives. Or à l’issue de cette expérience, on a constaté les faits suivants :
- le groupe s’étant entraîné avec les steps a amélioré en moyenne sa VO2 Max de 12% et abaissé son chrono sur le test de course de 8%.
- Le groupe s’étant exercé à la course a amélioré sa V02 Max de 16% et amélioré son temps de 11%.
- Il n’y avait pas de différence marquante entre les deux conditions. Toutes ces femmes avaient semblablement et nettement progressé.
Que déduire de ceci ? Que l’incorporation ponctuelle, ou plus régulière, de sessions de marche, en particulier en montée et à un rythme soutenu, peut amener à améliorer ses qualités de coureurs tout autant que la course. A ceci près : ce type de sorties est moins traumatisant sur le plan musculaire que la course, il peut générer moins de fatigue, il permet de s’alimenter plus aisément, et enfin il favorise une plus grande diversité d’exercice, ce qui limite la monotonie et la fatigue mentale. Il est certain que le coureur de trail, le montagnard ou le marathonien y trouveront leur compte. Mais quid des autres, du coureur de 5000 ou l’amateur de semi ? Certains urbains n’ont pas toujours le temps de faire toutes les séances qu’ils aimeraient accomplir. Pourquoi, à côté de leurs entraînements de course, ne pourraient-ils pas envisager de marcher beaucoup plus et beaucoup plus vite, au quotidien, et considérer que cela contribue à l’entretien « invisible » de leur condition physique ? Grimper des volées d’escaliers dans le métro (plutôt que de rester debout dans les escaliers mécaniques), laisser la voiture chez soi, aller chercher le pain à pied, descendre deux stations de métro ou de RER plus tôt pour marcher 10 mn ici ou là constituent autant d’astuces qui leur permettrait de solliciter leurs aptitudes d’endurance. Moins stressés ils pourraient, de temps en temps, faire l’économie de footings entamés sur le tard, à l’arrache, et qui servent à tout sauf à régénérer. L’essentiel de leur énergie serait alors disponible pour les séances de course consacrées au travail qualitatif (fractionné, seuil ou sorties longues), à l’instar des athlètes finlandais du début du XXe. En outre, des montées d’escaliers raides, des randonnées avec sac sur des pentes très inclinées favorisent indéniablement le renforcement musculaire. On découvre d’ailleurs dans le livre de Tim Noakes que Arthur Newton, qui courait les 100 km en 7 h 20, effectuait l’essentiel de son entraînement à la marche…
Finalement, le seul point faible de cette idée d’incorporer de la marche ou du step à sa préparation est peut-être qu’elle dérange !
Denis Riché, pour « Denis Riché Conseil » - 2014.
Photos: Philippe ENG é Girls Band
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